Relevés


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2019

Je suis en train de créer le fichier RSS pour les Relevés. Ce n’était pas si compliqué. Il me reste la feuille de style à écrire pour que les mises à jour s’affichent correctement dans les agrégateurs. Je pense rendre tout ça public et utilisable d’ici une ou deux semaines.

Cette petite bidouille était l’occasion de confirmer la valeur du XML, à côté duquel la totalité des gens passent. Déjà, en étant mis à jour à la main, les fichiers XML pourraient être diffusés sans site source, et enregistrés directement dans les agrégateurs. De cette manière, on pourrait transmettre des informations mises à jour sans passer par d’autre tiers que l’agrégateur.

Pour diffuser du texte, c’est sans doute un des formats les plus simples que je connaisse. Je pense notamment à l’avènement des newsletters, qui pourraient être remplacées sans souci par ce type de fichier.

Facebook, Twitter, Instagram ne s’y sont pas trompés, qui sont presque exclusivement des agrégateurs de contenus : ils récupèrent les informations des comptes auxquels vous êtes abonnés et les affichent sur une page unique (la page d’accueil). Vienna, mon agrégateur, fait exactement la même chose avec le contenu des sites que je préfère.

Je me souviens d’un temps (autour de 2009) où l’on pouvait s’abonner aux flux RSS des comptes Twitter. En somme, je pouvais utiliser les avantages de Twitter (le contenu de mes comptes favoris) sans avoir à utiliser Twitter. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Et on voit désormais comment ce site évolue, nous bombardant d’informations non sollicitées, et empêchant l’accès aux informations sans connexion directe à la plateforme.

Je ne détaille pas Facebook, dont tout le monde se rend bien compte aujourd’hui de l’inutilité : plus aucun contenu pertinent, énormément de pub. C’est l’agrégat dévoyé : croire s’inscrire à un certain contenu, et recevoir en permanence le contraire.

Tout ce que ces services vous proposent, vous pourriez le faire en toute sécurité avec vos propres outils. Imaginez que dans un même logiciel vous puissiez voir : la dernière mise à jour d’un de vos groupes Facebook, le dernier tweet d’un compte littéraire, la dernière photo postée sur Instagram, sans avoir à passer d’un site à l’autre, ni même à les utiliser ou s’y inscrire. Le gain de temps et de liberté serait indéniable.

Je crois que les sites l’ont aussi très bien compris, et c’est pourquoi ils désactivent ou ont déjà désactivé les fichiers RSS des pages, groupes, comptes, etc. Sous prétexte de se débarasser d’un format obsolète, ils préservent en réalité la captation des données et l’accès aux informations.


À lire : What happened to self-hosted blogs?

Parmi les usages numériques que j’aimerais voir se démocratiser ou revenir à la mode :
1. discussions de groupe sur salons IRC
2. discussions privées directes via Jabber
3. sites/blogs personnels avec hébergement alternatif
4. utilisation des flux RSS

Si jamais ces démarches vous intéressent aussi, ou que vous souhaitez en apprendre plus pour vous initier, écrivez-moi.


D’un outil du faire, les ordinateurs sont devenus un outil du voir. Là où auparavant on pratiquait, désormais on reçoit. Ainsi l’ordinateur rejoint la télévision comme média se nourissant de la passivité. La publicité transfome les objets en surfaces absentes.

Je rêve clairement d’autre chose, sans parvenir à saisir quoi.

Tous les espaces de fiction semblent dépassés, parce que plus personne ne veut parler honnêtement (avec sa voix propre). On veut écrire des livres pour gagner de l’argent.

Une démarche d’écologie personnelle serait de désactiver au plus vite mes comptes Facebook et Twitter, où je n’ai plus (je ne me donne plus) qu’un rôle de voyeur. Je reste là à scruter des événements sans intérêt, des prises de parole vides, je ne sais même plus bien pourquoi. C’est une habitude non-interrogée ; comme une pollution du temps présent. J’aurais aussi bien à faire de partir jouer à Keyforge avec des potes, ou m’allonger sur mon lit pour attendre que le temps passe. J’ai oublié ce que c’était de ne pas avoir le réflexe de l’ordinateur. Tous ces espaces habituellement occupés, qui désormais n’ont plus que l’apparence de l’occupation.

« Mais je crois que la mélancolie est la tonalité de presque tous les journaux. Et même une tonalité poétique de l’état des choses. » – Jean Baudrillard, Entretiens.

« Ces feuilles ne seront proprement qu’un informe journal de mes rêveries. Il y sera beaucoup question de moi parce qu’un solitaire qui réfléchit s’occupe nécessairement beaucoup de lui-même. Du reste toutes les idées étrangères qui me passent par la tête en me promenant y trouveront également leur place. Je dirai ce que j’ai pensé tout comme il m’est venu et avec aussi peu de liaison que les idées de la veille en ont d’ordinaire avec celles du lendemain. Mais il en résultera toujours une nouvelle connaissance de mon naturel et de mon humeur par celle des sentiments et des pensées dont mon esprit fait sa pâture journalière dans l’étrange état où je suis. » – Jean-Jacques Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire.


Plus le temps avance, et moins je me reconnais dans les usages en ligne. L’autre soir, à l’occasion d’une invitation, j’ai proposé une performance toute bête : des gens s’installaient face à moi sur un PC mis à disposition, et on discutait sur jabber comme si on ne se voyait pas. La discussion durait 4 ou 5 minutes, et ensuite je me déconnectais, pour reprendre une autre conversation sous une nouvelle identité. C’était vraiment bien. Ça m’a rappelé à quel point ça me manque de discuter avec des gens sur des supports faits uniquement pour discuter et s’échanger des fichiers. À part avec Fabien, je ne discute avec personne d’autre de cette manière, et c’est dommage, parce que c’est très facile. Il suffit de se créer une adresse, sans même avoir besoin de renseigner un email, et on peut discuter.

Ensuite je le répète, mais parce que ça me tient vraiment à coeur : les gens devraient recommencer à avoir des blogs, ou des sites, pour écrire tous les trucs qui leur passent par la tête.

On devrait retrouver un usage indépendant des espaces d’expression. Tous les outils sont déjà là pour se passer des sites dominants. Après j’ai bien conscience que la plupart des échanges écrits se font désormais sur téléphone, objet que j’utilise peu, voire pas.

En fait tout ça pour dire que les conversations me semblent ou compliquées ou abstraites, simplement parce qu’elles ne sont pas tenues aux bons endroits. Quand j’étais ado je discutais beaucoup, et j’adorais ça. Maintenant je ne discute plus, et ça me manque. Ce sont des espaces de réflexion et d’expérimentation qui disparaissent.

On devrait prendre l’habitude de davantage se voir, aussi.

(Trop trop bien, je me suis remis à écrire un truc et je trouve ça cool. Je dors 10 heures par nuit. J’oublie que j’ai un travail. Les vacances amnésiques.)


Désolé de vous le dire, mais ils sont super chiants tous les livres que vous conseillez.


Le dialogue, c’est compliqué. C’est une des choses les plus compliquées auxquelles j’ai pu assister. Quand je regarde deux personnes dialoguer, la plupart du temps, elles ne dialoguent pas. Elles disent des choses qui ne sont pas transmises. C’est tout le malheur du dialogue. Chacun dit des choses qui se buttent aux choses de l’autre et rebondissent ensuite de façon illimitée dans la pièce. Le dialogue entraîne la colère à cause de toutes les choses qui rebondissent dans la pièce et obstruent la vue et la parole. On finit par n’y voir plus rien du tout et on parle dans une piscine de choses qui déjà nous obstruent la bouche. Le dialogue, c’est un mystère. On ne sait plus très bien pourquoi les gens dialoguent. Moi-même je me demande pourquoi on parle, alors qu’on ne sait plus parler. On ne se comprend plus du tout. La colère est très grande à chaque parole. Ensuite on est triste d’avoir été tellement en colère. On pleure parfois, et on arrête de parler, ce qui est le plus grand drame au fond.


Quel usage faire d’Internet. Quelles informations j’y divulgue, qui me reconnaît, aux yeux de qui je veux me cacher, pourquoi me cacher, quels services j’utilise, pour quels buts, quelles informations je recherche, pourquoi je ne recherche plus tellement d’informations, pourquoi Internet est devenu une surface plane insatisfaisante, où sont les espaces de recherche, où sont les espaces de communauté, avec qui fait communauté, quels outils pour que la communauté dialogue et crée en toute sécurité, à qui appartiennent les sites, pourquoi plus personne n’a de site à soi, pourquoi dialoguer sur des espaces impropres à cet usage, pourquoi ne pas se voir, pourquoi Internet plutôt qu’autre chose, pourquoi pas l’absence d’Internet, qu’est-ce qu’un ordinateur sans réseau, etc.


salut
hier en rentrant du lycée
j’ai fait un détour par chez toi
voir si t’étais là
il y avait de la lumière dans ta chambre
mais apparemment tu n’étais pas seule
donc bon
j’ai pas osé frapper
enfin tout ça juste pour dire
j’ai gravé une copie du CD des red hot
que tu m’as prêté
hyper bien
sinon
je sais pas si t’es libre demain
mais on pourrait se poser chez moi
et comme ça je pourrai te le rendre
et si j’ai la caisse de mon père
on pourra même aller à la plage
de ce qu’on m’a dit
l’eau est super bonne


salut
hier soir je me promenais
vers les hangars
là où on avait l’habitude d’aller
avec pete et gaspard
j’ai découvert des traces de sang sur le sol
il n’avait pas séché
et un peu plus loin
un appareil photo jetable
avec une pellicule à l’intérieur
ce matin je la dépose chez le photographe
il me dit de repasser aujourd’hui en fin d’après-midi
ce que je fais
il me donne la pochette de photos développées
gratos
sans aucun commentaire
chelou
donc en marchant pour rentrer
j’ouvre la pochette
pas serein du tout
je commence à regarder les photos
et franchement
ma main à couper
que tu ne devineras jamais ce qu’il y a dessus


salut
pour être honnête
mon album a beaucoup moins bien marché que j’espérais
j’en ai vendu quoi
150 à tout casser
surtout à des potes
ils m’ont tous dit
franchement ouais c’est bien
continue
je ne sais pas si c’est sincère
mais ça me fait plaisir
j’ai déjà deux autres chansons
pour mon prochain EP
il y en a une qui parle de toi
elle s’appelle don’t forget me
c’est un peu cliché
mais j’ai pas trouvé mieux


salut
tout à l’heure j’ai regardé un épisode de mr robot
à un moment dom et darlene sont dans un aéroport
c’est un tournant dans leur histoire d’amour
on ne sait pas si elles vont rester ensemble
ou se séparer
il y a une chanson de carly rae jepsen
que j’avais entendue à un moment de ma vie
où je crois qu’elle avait un sens pour moi
et j’ai été triste d’un coup
mais je ne sais pas si c’était à cause de leur histoire
ou de la nôtre

Dans son prochain livre à paraître en 2020, Julie Wolkenstein passe quinze pages d’intro à expliquer à son lectorat ce qu’est un escape game. Il ne lui est jamais venu à l’idée de le faire directement, cet escape game, et qu’ainsi, par la narration, on le comprendrait. Quelle paresse ; je suis épuisé par les modes d’emploi. De plus, sa conclusion foudroie : les escape game, c’est comme la vie. Époustouflant. Quinze pages pour en arriver là.


salut
ça m’a vraiment fait plaisir de te croiser l’autre jour
je ne savais pas que tu étais toujours dans le coin
il faudrait qu’on prenne un café si tu as un moment
de mon côté je suis plutôt libre
je fais des petits boulots à droite à gauche
je joue à la xbox
je ne sais pas si tu connais
dans mon souvenir tu ne jouais pas du tout
des fps surtout
je commande tous mes repas sur uber eats
je mange thaï trois fois par semaine
dans ma cuisine il n’y a rien
peut-être du ketchup quelque part
si des gens venaient me voir
sans doute que je ferais plus d’efforts
je n’ai pas tellement d’amis
parler me manque


salut
j’ai acheté du sorbet au citron
je l’ai mangé devant la télé
j’ai regardé une émission
à propos de la fin des oiseaux et des hommes
à la fin la présentatrice a dit
rendez-vous la semaine prochaine
tous les oiseaux vont mourir
puis les hommes
je n’ai pas fini tout le sorbet
parce qu’il avait fondu dans sa boîte
j’ai regardé l’eau
que le sorbet était devenue
plus tard il y aura des oiseaux dans l’espace
les télés n’existeront plus
nous deux non plus
et nos deux tombes seront
dans deux cimetières différents


salut
le jeu est bien mieux
que ce à quoi je m’attendais
j’y ai déjà passé plus de 40 heures
je rencontre des gens sympas
c’est plus facile de leur parler ici
qu’en vrai
mon appartement est hanté d’images
je n’allume plus la lumière
j’oublie progressivement
ce que c’était que de t’avoir là
chaque jour
j’ai rencontré quelqu’un
à qui je me confie
on se retrouve au plus profond d’une forêt
près d’un vortex
qui symbolise la fin de l’univers programmé
tout est vide autour de nous
rien ne tient
les phrases que l’on écrit
ce qu’on tente d’approcher
par la confidence
rien ne tient
la forêt est là
pour nous aider à oublier
que le vortex va nous tuer
et pour nous convaincre
que si tout était à refaire
je ne referais rien


salut
je suis passé devant chez toi hier soir
les volets étaient fermés
j’ai hésité à frapper
finalement je n’ai rien fait
je me suis assis sur un muret
de l’autre côté de la rue
j’ai attendu
pas très longtemps
j’ai repensé à des trucs qu’on a vécus
des vidéos qu’on a vues
dans ton lit
je me souviens de choses
précises et confuses en même temps
la plupart des émotions
je les ai oubliées
l’odeur des espaces
le temps qu’il faisait
et qui pourtant me rendaient heureux
d’être là
une journée est vite passée
bientôt les gens sont rentrés chez eux
toi non
sans doute
que tu ne vis même plus ici


Je viens de me rendre compte, alors que je ne le connaissais pourtant pas, que mes Relevés ont une mise en page presque semblable au weblog d’Aaron Swartz.

D’ailleurs, cela me fait penser qu’il faut absolument que je trouve une solution pour créer un flux RSS sur ce site. A chaque recherche, j’ai l’impression qu’intégrer un flux RSS à une page statique est une absurdité, et que personne ne fonctionne comme moi. Cela ne me dérange pas de mettre à jour manuellement mon flux à chaque nouvel upload du site ; à voir la solution la plus simple et rapide.

J’ai rajouté mon identifiant Jabber en haut du site.


le lendemain, la neige est tombée. l’eau du lac avait gelé et des gens marchaient dessus. ils allaient à pied jusque sur l’îlot central. ils faisaient attention à ne pas tomber. je ne suis pas resté à les regarder. dylan était avec moi. on ne s’est pas dit grand chose. dylan regardait beaucoup son téléphone. je crois qu’elle parlait avec un autre gars. un gars d’un autre lycée, dans une autre ville. je lui ai dit : t’écris à qui ? elle m’a dit : non non c’est rien. elle a rangé le téléphone dans sa poche. je l’entendais vibrer. on a marché pas mal de temps comme ça. on est arrivé dans le centre-ville. je lui ai dit : tu veux boire un verre ? elle m’a dit : il y a une fête à noyal, je vais peut-être y aller. je lui ai dit : ok, moi je sais pas si j’y vais. elle ne m’a rien dit ensuite. je crois que je n’étais pas invité. on a quand même pris un verre, mais elle n’est pas restée longtemps. elle a rejoint d’autres potes chez elle qui avaient une voiture. j’ai hésité à aller à la fête moi aussi. c’était pas très loin. j’ai glandé un peu devant l’ordi. j’ai regardé des vidéos sur youtube. j’ai joué à dofus. après je me suis allongé sur mon lit. finalement je ne suis pas sorti. vers les quatre heures j’ai envoyé un message à dylan. la fête est cool ? elle ne m’a pas répondu.

On m’a proposé de faire une lecture à Rennes avec d’autres jeunes poètes. Moi je ne suis pas poète. J’ai dit que j’allais lire des paragraphes des Relevés. Je ne sais pas encore lesquels, je ne sais pas encore comment. Je n’ai jamais fait de lectures. Je n’ai jamais pris la parole en public. Je ne sais pas parler.


je suis sorti dans le noir. j’ai appelé dylan. elle ne m’a pas répondu. je lui ai écrit un message. je ne sais plus quoi faire. je me suis vu l’écrire. j’ai regretté aussitôt. j’ai quand même envoyé le message. j’ai marché jusqu’au centre ville. j’ai acheté un kebab. je n’avais pas tellement d’appétit. je l’ai mangé à moitié. j’ai jeté le reste. j’étais dans le parc. d’autres gars traînaient là aussi. ils me regardaient de loin. quand j’ai jeté mon kebab un des gars est venu le récupérer dans la poubelle. il a mangé les restes devant moi, debout. c’était une sorte de défi, ou de menace. ensuite il est parti. j’ai regardé sur mon téléphone et quelqu’un m’avait taggé sur instagram. j’ai marché sur la digue. dylan m’a envoyé un message. je suis chez moi. je ne savais pas si j’avais envie de la rejoindre. j’avais envie de pleurer chez moi. j’avais envie d’être vivant dans le noir d’une chambre. je pensais à elle. je me voyais déjà devant la porte d’entrée de chez ses parents. je me voyais sonner. je me voyais entrer. ensuite je ne voyais plus rien. je pensais à la nuit sur la ville. je pensais à la mer et aux gars dans le parc. je voyais dylan dans le parc, et dylan sur la plage. je lui ai envoyé un message. tu veux pas venir sur la plage ? j’ai attendu. trente secondes plus tard elle m’a envoyé un message. je regarde un film. j’ai fini sur un parking. j’étais debout entre les voitures. dans le noir on ne me voyait pas. j’aurais pu en voler une. mais finalement je n’ai rien fait.


Eh, eh, réveille-toi, il ne faut pas rester ici. J’ai ouvert les yeux et reconnu le visage de la princesse. Autour de nous, il y avait des arbres et des montagnes. Le ciel était bleu partout sauf très noir au loin. Le noir semblait se propager. Où est Cloud ? lui ai-je demandé. Qui ça ? Cloud, l’aventurier qui était avec moi dans le château. La princesse a regardé autour d’elle. Je ne sais pas, il n’est pas ici. Je viens à peine de me réveiller. Il ne faut pas traîner, sinon les démons vont nous retrouver. Mon nom, c’est Shadow. Et toi, c’est quoi ton nom ? – – – – – – – – Ok, enregistré. Allez, on y va.

On s’est mis en route. Mon inventaire était vide. J’ai trouvé un bâton sur le sol qui pouvait me servir d’épée. Shadow avait toujours ses dagues accrochées à sa ceinture. On était dans une sorte de forêt, très dense. D’énormes oiseaux quittaient les branches pour nous attaquer. Il faut absolument retourner à Bluesky et sauver mon père, a dit Shadow. J’ai eu une vision du démon transformé en roi. La forêt semblait ne pas avoir de sortie. Shadow allait d’une clairière à l’autre, sans se rendre compte qu’on finissait malgré nous par toujours déboucher dans les mêmes.

L’AVENTURE COMMENCE
BLUESKY, CAPITALE
FORÊT NOIRE

Vous vous rendez compte de tout ce que j’ai écrit ?

Je me demande si je n’arrive plus à écrire de roman tout simplement parce que le format ne me convient plus. On ne peut pas dire qu’il y a longtemps depuis le dernier (deux ans et demi environ), mais je bute sincèrement contre un obstacle infranchissable. Parfois je me dis que j’ai beaucoup plus à gagner à écrire sur ce site. Que je me fais chier à écrire des romans, alors qu’en fait on ne se souviendra que de mon site. C’est une sorte d’intime conviction. Il y a eu des cas semblables par le passé. On pense être bon quelque part, et puis finalement il s’avère qu’on est bon pour une toute autre chose, une chose à laquelle nous on n’accorde aucune importance. Avant d’écrire mon premier roman, je pensais que le roman serait important. Maintenant, je me rends compte qu’un roman n’a aucune importance. Si j’écrivais si peu dans mes Relevés ces derniers temps, c’est que j’espèrais trop faire des bribes un futur roman. C’était un leurre, de mauvaises raisons d’écrire. Sur mon site, je peux écrire tout ce que je veux. C’est en ligne, tout le monde peut le lire. On peut en lire des bouts, ou tout, en fonction de la motivation. Il y a des choses très bien et d’autres très nulles qui se côtoient. Je peux y cacher plein de choses ; tout dire en fait.

Si j’écris, je crois que c’est pour tout dire. Et je dis tout ici.

(Être libre de toute contrainte marchande est également une chance que je n’ai pas assez considérée par le passé.)

« Ce que nous prenons pour des images, des sons ou des déplacements dans le monde des écrans n’est qu’une peau très fine sous laquelle s’empilent des kilomètres et des kilomètres de langage. » – Kenneth Goldsmith, L’écriture sans écriture (trad. F. Bon).


On passait nos journées à tuer des monstres. Je n’en avais jamais vu autant. Dans mon village, je n’en avais même jamais vu aucun. Je n’ai aucun souvenir du passé. Je ne sais pas où les monstres vivent. Je n’ose pas poser de questions à Cloud. Tout paraît lui aller de soi. Le sage de ton village vous a raconté quoi sur Bluesky ? lui ai-je demandé. Pas grand chose, quelques légendes. Cloud n’était pas du genre bavard. Les choses ont continué ainsi un certain temps. Après trois jours à errer et combattre dans la nature, on avait monté d’environ dix niveaux, et on approchait enfin de Bluesky.

On a rejoint des centaines d’autres personnes qui marchaient elles aussi vers Bluesky, et plus tard on a vu des milliers de fanions colorés sur les remparts de la ville. Deux gardes en armure stationnaient à l’entrée. …, répondaient-ils quand on leur parlait. Regarde, m’a dit Cloud. J’ai regardé autour de moi les choses qui étaient belles. Nous avons participé à la fête et acheté de nouvelles armes. Aujourd’hui, c’est la fête, m’a dit un enfant qui tenait un ballon. C’est la plus belle fête de tout le royaume, m’a dit une femme qui regardait des pots en céramique sur un étal. Quand j’étais petit, mes parents m’y emmenaient déjà, m’a dit un vieil homme assis sur le rebord d’une fontaine. On a continué à faire notre tour avec Cloud en parlant au hasard un peu à tout le monde. Une femme nous a donné un parchemin illisible, et on a trouvé l’accès vers une salle souterraine à partir d’un puit caché derrière l’armurerie. À la fin d’une petite salle construire en labyrinthe, un coffre renfermait une boussole.

Puis quelque chose s’est produit qui a tout bouleversé. Des démons sont sortis d’une faille temporelle et ont commencé à tuer les humains. Chaque corps mort se volatilisait. J’ai compris alors que mon aventure commençait. À la fin du carnage, un maître démoniage est sorti de la faille temporelle et a commencé un discours horrible. L’avènement est venu, a-t-il dit. Je vais enfin prendre le contrôle du royaume et renvoyer les humains au néant. Dépêchons-nous, m’a crié Cloud en me tirant par le bras. On a couru jusqu’au château, où se trouvait le roi. Sur le chemin, on a combattu des démons qui nous posaient bien plus de difficulté que les monstres dans la nature. À un moment, Cloud n’a pas été très loin de mourir. Je l’ai soigné avec une potion. Dans le château, les gardes se battaient ici et là contre d’autres démons. On s’est précipités dans la salle du trône. Le roi était assis et le maître démoniaque parlait juste derrière lui. Il y avait plein d’autres démons partout dans la salle. Le maître démoniaque savait qu’on arriverait, et il s’est adressé directement à nous. Demain, tout sera à moi, a-t-il dit. Le roi est déjà mort. Là, j’ai vu celui que j’avais pris pour le roi se métamorphoser lentement en démon. C’était horrible. La princesse est alors arrivée en cassant un vitrail, et elle a tenté de poignarder le maître démoniaque avec une dague empoisonnée. Mais le maître démoniaque a stoppé sa lame avant qu’elle n’atteigne son coeur, et il a projeté la princesse contre un mur. Puis il a continué à proférer d’autres menaces avant de nous téléporter tous les trois, la princesse, Cloud et moi, vers une autre dimenson.

« C’était quand on parlait que venaient les idées et les solutions, tirées du trésor inépuisable du langage, qui s’arrangeait toujours pour nous surprendre. » – César Aira, Prins (trad. C. Vasserot).


Un autre aventurier que je ne connaissais pas a voulu m’affronter en duel. On s’est battus et j’ai gagné. Je n’étais pas très fort, mais il était encore plus nul. Après le combat, on est devenus amis. Il m’a dit qu’il s’appelait Cloud. Il se battait avec un arc et ne manquait jamais de flèches. On peut faire l’aventure ensemble, m’a-t-il dit. J’ai accepté, et il a rejoint mon équipe. On s’est tout de suite bien entendu. On passait beaucoup de temps ensemble. Le soir, on mangeait autour d’un feu de camp, et on se racontait des histoires. Cloud venait d’un autre village que le mien. Il en était parti parce que le roi dont son village dépendait était un tyran qui tuait tout le monde. Il avait tué sa famille en incendiant sa maison. Tout le monde est mort dans mon village, m’a-t-il dit, c’est affreux. S’il est parti à l’aventure, c’est pour se venger. Tout le contraire de moi, qui suis parti sans raison.

J’ai une carte, ai-je dit à Cloud. Je l’ai sortie de mon sac et on l’a regardée ensemble. Mais oui, je connais très bien cet endroit, s’est-il exclamé. Enfin, je n’y suis jamais allé, mais le plus vieux sage de mon village nous en parlait souvent. La carte n’avait plus de nom à cause de la lumière du temps qui avait passé, mais Cloud s’en souvenait encore. Bluesky, a dit Cloud, c’est le nom de ce lieu. Bluesky, ai-je pensé. J’ai mangé un poisson qu’on avait pêché le matin. Et par où on y va ? lui ai-je demandé. Par là, a-t-il répondu en pointant son doigt devant nous.

On devait se battre contre beaucoup de monstres, mais on gagnait en expérience. Cloud tirait ses flèches de plus en plus loin, et moi je frappais de plus en plus fort. Si on avait un mage dans notre équipe, on pourrait même maîtriser les éléments, m’a-t-il appris. Il y avait un mage de l’eau dans mon village, mais le roi tyran l’a enfermé dans un cachot sous sa forteresse. J’espère qu’il est toujours en vie. Les monstres avaient de drôles de têtes, et certains me rendaient triste. J’aurais aimé leur dire pardon de les tuer, mais on ne parlait pas la même langue. Cloud avait apparemment moins de remords. Bientôt il m’a dit qu’il devrait changer son arc parce que le sien commençait à être un peu trop nul pour son niveau. Par chance, on a trouvé un marchand au bord d’un sentier, qui vendait des arcs, des épées et des potions. Cloud a changé son arc et moi mon épée. Le marchand vendait aussi des haches, et d’autres objets beaucoup trop chers pour nous, mais qui avaient l’air surpuissants. La route était longue jusqu’à Bluesky.


Comme je voulais partir à l’aventure, j’ai pris mon épée. Je suis sorti de chez moi, et il pleuvait. Je suis passé par l’armurerie, où j’ai acheté un chapeau et des bottes. J’ai demandé à l’armurier où on pouvait trouver une carte qui référencerait les aventures disponibles. Il m’a dirigé vers la bibliothèque où, selon lui, on trouvait tout un tas de cartes. À la bibliothèque, il y avait déjà plein de monde assis en train de lire des livres. J’ai demandé à la bibliothécaire où étaient les cartes, elle m’a guidé vers une réserve gigantesque au sous-sol du bâtiment. Toutes ces cartes offrent des aventures ? ai-je demandé. Non, pas toutes, m’a-t-elle répondu. Moi, je cherchais une carte pour partir à l’aventure. Je ne savais pas les distinguer des autres, les normales. La bibliothécaire me regardait, un peu gênée. Mon épée l’effrayait, je crois. Vous savez, l’ai-je rassurée, je ne m’en sers que contre les monstres. Elle m’a souri. Cette carte, par exemple, est sans doute bien pour commencer. Je lui ai fait confiance, me suis abonné à la bibliothèque, et j’ai emprunté la carte.

Dehors, je me suis rendu compte que j’avais oublié d’emprunter la carte qui allait de la bibliothèque au lieu qui était sur la carte. J’ai marché un peu pour sortir de la ville, et de là je me suis dit que je devais me faire confiance.

« Il conviendrait de prendre chaque journal, chaque page même de chaque journal et lui demande : viens-tu de la surface pour nous emmener vers le fond ou bien, au contraire, es-tu en train de nous sauver du pur silence, de faire une tache sur le silence ? »


salut
je me sens comme une marmite trop pleine
j’ai envie d’exploser
je suis triste
mes phrases sont simples
je dis ce que j’ai à dire
directement
sincèrement
ma tristesse est aussi simple
que ma façon de la nommer
je réchauffe des plats préparés au micro-onde
je regarde dehors par la fenêtre
j’ai le front collé à la vitre
en bas les gens marchent
je pense à eux
il fait nuit
j’écoute le premier album de bon iver
je me souviens de 2006
je n’étais pas plus heureux
la tristesse est un poison
je la traîne depuis toujours
des voitures passent
j’ai envie de pleurer
je me sens nul
tous mes amis sont partis
la littérature c’est écrire des phrases
et les penser vraiment

« Je ne sais pas lire autrement que si je sens qu’il y a là, dans chaque page, la promesse d’une réponse à une grande enquête qu’il me semble mener, sans pourtant savoir quel en est l’objet exact mais conservant cette impression d’un problème à dénouer et dont je vais trouver là, dans la moindre page du moindre livre, l’éclair épiphanique qui m’en fera finir avec toutes les lectures. » – Tanguy Viel, Icebergs.


11

Copperfield et le fuyard partagent une petite bière au comptoir du DI MANO’S BAR, brasserie tranquille qui fait 12 couverts par jour avec du lambris au plafond. Le fuyard lui explique qu’en fait (c’est assez compliqué) il ne les fuyait pas du tout. En fait, c’est un énorme quiproquo. Copperfield rit aux éclats et boit une gorgée de sa bière. Quand il repose son verre, il ne rigole plus du tout.

Dans le fond de la pièce, un mec dit : je suis pas hyper fan du lambris.

Copperfield dit : mais du coup vous faites quoi dans la vie ? Et le fuyard dit : en fait je suis cascadeur. Copperfield : ah ouais ok cascadeur, je vois. Le fuyard : ouais, donc le quiproquo vient de là en fait, la BM c’est pas vraiment ma BM, c’est la BM de la société de production pour laquelle je bosse. En fait je faisais une cascade pour une pub de café, avec une scène bien testostéronée pour rappeler aux clients qu’en buvant ce café précisément on peut faire des tonneaux avec sa BM sur l’autoroute.

Copperfield regarde le lambris au plafond.

Tout un tas de types dans la brasserie regardent l’écran plasma accroché au mur. Un chien dans une fusée s’envole vers Mars. Des scientifiques se serrent dans les bras.

Pendant ce temps le fuyard/cascadeur continue à parler. Et en fait je croyais que vous aussi avec votre ami vous étiez cascadeurs et que vous me poursuiviez pour la pub.

Copperfield dit : ah non non moi je suis pas cascadeur du tout, je suis juste l’assistant de l’inspecteur Rivage.

Le fuyard/cascadeur hoche la tête. Désolé du coup, le but c’était pas de vous mettre dans la merde. Copperfield dit : non non mais y a pas de souci, c’est aussi sympa de boire une bière en fait.

La fusée avec le chien-pilote arrive dans l’espace. Une caméra embarquée montre le chien. Certains des scientifiques dans la base terrestre pleurent de joie. Le chien n’affiche aucune émotion. C’est un pro, comme le cascadeur, pense Copperfield.

Un craquement vient du lambris, comme si quelqu’un rampait dans le faux plafond.

Assis seul à l’écart devant son DELL Inspiron, xXx-lolitaaa-xXx poste un nouveau message sur le forum Minecraft fr.


salut
j’ai commencé une nouvelle partie
de chrono trigger
je joue avec la nintendo ds
que tu as oubliée chez moi
ça fait plus de 10 ans
je me demandais si elle marchait toujours
je ne sais pas ce que tu es devenue
ni si cette adresse est toujours la bonne
je ne sais pas trop quoi dire
je cherchais juste un prétexte
pour t’écrire
de toute façon
tu m’as sans doute oublié


salut
je reviens juste du sport
j’ai écouté ton message
je ne sais pas où est le corps
il n’est plus là où on l’avait laissé hier
quelqu’un nous a vu
la terre a été piétinée à plusieurs endroits
on ferait mieux de rester discrets
sinon j’ai fait une bonne séance
je me suis détruit les jambes
il n’y avait pas trop de monde
juste un mec bizarre
qui a passé son temps à me regarder
à travers les miroirs

J’aimerais gagner en ambition. Ecrire des choses vraiment vraiment vraiment bien.


salut
rien à signaler aujourd’hui
j’ai fait un tour du plan d’eau
je suis passé vite fait devant la piscine
transformée en salle de muscu
j’ai regardé à l’intérieur
par les baies-vitrées
mais elle était fermée
donc il n’y avait personne
au skatepark non plus d’ailleurs
je ne sais pas où tout le monde était
sans doute à une fête
à laquelle je n’étais pas invité
je me suis enfoncé dans la forêt
en suivant le cour d’eau
j’ai pensé à tout un tas de choses
à des gens qui pourraient m’aimer
si je n’étais pas aussi seul
à une belle voiture rouge
l’été à miami
en gros voilà
je me suis inventé une vie
que je n’aurai jamais

« Traverser la douleur et n’en rien savoir,
Une portière de voiture qui claque dans la nuit.
Émerger sur un terrain invisible. » — John Ashbery, Vague (trad. M. Richet).


salut
j’ai refait ton portrait
dans un logiciel de modélisation 3D
j’espère que tu ne trouves pas ça bizarre
tu n’es pas obligé de le garder
c’est mon premier
donc il a quelques défauts
genre l’écart entre les yeux
ou la couleur des cheveux
ça te gêne ?

en fait oublie
je n’aurais pas dû te l’envoyer
non
c’était maladroit
désolé
je ne t’embêterai plus
ouais
on se voit à la rentrée
ahaha
ouais
non non je suis pas vexé
t’inquiète
pas du tout
je comprends
ouais
yes
à plus tard
salut !


salut
finalement
j’ai déménagé
je ne me voyais pas rester ici
j’ai tout laissé
sauf mon ordinateur
pendant trois semaines
je n’avais nulle part où aller
j’ai dormi dans un terrain de foot
à côté de mon ancien collège
c’était l’été
il n’y avait personne
les préaux étaient vides
les salles aussi
et puis j’ai trouvé un studio
à côté de la collégiale
sympa
pas très grand
j’ai posé mon ordinateur sur le sol
c’est mon seul meuble
je n’ai pas encore internet
peut-être dans deux ou trois semaines
m’a dit le technicien
ça me va
je peux attendre
je ne suis pas pressé

« La construction ne pose jamais aucun problème. Les choses arrivent. Aucun problème de fabrication romanesque, de vraisemblable. Tout s’enchaîne comme dans un rêve, la nécessité est dans les associations de la pensée. » — Leslie Kaplan, Les Outils.


Le vaisseau se pose un peu à côté de la forêt. Il reste là. Les herbes en-dessous sont écrasées. Je m’éloigne et retourne près de la villa. Sur la terrasse au deuxième étage, je vois Ike en train d’observer le vaisseau avec ses jumelles. Il ne m’a pas entendu. Dans le salon, Caska lit. Elle me demande si le vaisseau est arrivé. Je réponds que oui, mais qu’il semble vide. Elle pose son livre et se tourne vers moi. Elle me regarde comme si elle voulait que je lui en dise plus, mais je ne sais pas quoi ajouter. La prochaine fois, il y aura quelqu’un, dis-je. Je rejoins Ike sur la terrasse. Il fixe toujours le vaisseau avec ses jumelles. Je pensais qu’il y aurait quelqu’un, dit-il. La prochaine fois, dis-je.

Il y a un temps où je cherchais par l’écriture quelque chose de beau. Maintenant, je cherche quelque chose de vrai. Le beau semble me tenir à distance du vrai. Pour le moment, je ne parviens ni à l’un, ni à l’autre.

Toute entreprise me semble aussitôt inutile.

Il y a deux semaines, j’ai dit à Laura qu’un jour je pourrai ne plus écrire et que cela ne me fait pas peur. Même si j’en serai triste. C’est la seule discipline dans laquelle j’ai assez persévéré pour espérer entrevoir les prémisses de quelque chose d’intéressant. J’y ai consacré tant d’années. Il y aura forcément un peu d’amertume.


salut
finalement je ne suis pas sorti hier soir
j’ai préféré rester chez moi
à regarder la télé
je n’avais pas tellement le moral
j’espère que vous ne m’en voudrez pas
je me suis couché tôt
dans un rêve
je roulais dans la nuit en plein milieu
du désert
et je me sentais bien
apaisé
j’aurais vraiment aimé
ne pas me réveiller

Tout à l’heure j’ai regardé une vidéo de 3 min sur Arte intitulée La poésie sur les réseaux sociaux. Dans cette vidéo, il est dit que « Cécile Coulon s’amuse beaucoup sur le net » et qu’elle « adore distiller ses petites étoiles scintillantes sur Facebook ». Un peu après, une artiste est fière de dire que la poésie « se libéralise ».


salut
j’ai trouvé les codes
que vous m’aviez demandés
ça n’a pas été aussi simple
que vous aviez dit
pour être honnête
j’ai même un moment eu l’impression
que c’était un piège
mais heureusement
je m’en suis sorti
bonne nouvelle
n’est-ce pas ?
ah oui
autre truc étrange :
ricardio n’était pas là
au troisième étage de l’immeuble
il n’était pas là
je l’ai attendu une quinzaine de minutes
il n’est jamais venu
je ne sais pas ce qui lui est arrivé
rien j’espère


salut
est-ce que quelqu’un a vu
la vidéo du type qui tombe
alors qu’il était accroché
à une grue ?
son corps tombe d’une soixantaine de mètres
avant de se fracasser
sur le quai du métro
on entend un bruit sourd
étrange
et indescriptible
bref
je ne la retrouve plus sur youtube
mais c’est une vidéo importante pour moi
donc si quelqu’un l’a
et qu’il veut bien me l’envoyer par mp
ça serait super


salut
je me suis inscrit tout à l’heure
j’ai hésité avant de le faire
c’est ma première fois
je n’ai pas l’habitude des univers virtuels
je ne sais pas ce que j’espère y trouver
j’ai 47 ans
je ne rencontre plus personne
je salue ma voisine le matin
elle ne me répond pas
j’ai une webcam
si certains veulent me voir
l’image est bonne

bon
tout le monde a l’air très occupé

j’ai vu qu’il y avait une plage
à 30 minutes de marche
est-ce qu’on peut s’y baigner
pour de vrai ?


salut
je viens de me faire larguer
j’allume la télé la nuit
et je m’endors devant
je n’ai plus trop de goût aux choses
je mange péniblement mes céréales
j’ai regardé un film avec bruce willis
pour me rappeler des souvenirs
de quand on était ensemble
j’ai pleuré à un moment
je ne sais plus pourquoi
je n’ai pas d’amis à qui me confier
la plupart des miens étaient les siens
certains m’ont envoyé des messages sympas
mais pas très sincères je crois
pour me demander comment ça allait
et à chaque fois je répondais ça va
ça va


salut
j’écris de la poésie
je cherche d’autres personnes qui en écrivent aussi
je cherche à discuter
on peut se retrouver à la bibliothèque
ou chez moi
je n’ai jamais rien publié
j’ai écrit des poèmes d’amour
pour une fille qui ne m’aime pas
je ne sais pas quoi en faire
j’ai besoin d’aide
j’ai écrit un poème sur le temps qui passe
mais je n’en suis pas très content
j’aimerais que quelqu’un me donne son avis
les choses tombent un peu à plat
j’essaie d’écrire dans des bars
pour me donner une contenance
je regarde les autres gars jouer au billard
et les filles discuter
souvent je mange un quick en même temps
personne ne me regarde
mais qui voudrait
j’invente des situations dans mes poèmes
où les filles s’intéressent à moi
je leur offre un ou deux nuggets
et on fait la conversation
elles me parlent d’elles
et moi de moi
on entend burger queen de placebo
tout est simple
tout va de soi

Je me réveille dans une chambre qui est la mienne mais que je ne connais pas. Je m’y réveille pour la première fois. Je m’y sens bien parce que c’est chez moi. Tous les objets sont là, à leur place habituelle. Je pourrais les utiliser mais je n’en ressens pas l’envie. J’ai envie de sortir, de partir le plus vite possible de ma chambre. Je n’ai rien à y faire. Je descends au rez-de-chaussée. Ma mère est là. Tout de suite, elle vient me parler. Je n’ai rien à lui dire. Je ne ressens rien pour elle. Je ne sais pas où est mon père. Elle ne me parle pas de lui. Elle me parle du manque que je vais lui inspirer quand j’aurai quitté la maison. Je crois que sa vie se résume au rez-de-chaussée de la maison. Quand je serai parti, je ne sais pas ce qu’elle va devenir. Je ne reviendrai sans doute pas la voir. J’ai l’impression qu’un grand destin m’attend. Je ne sais même pas dans quelle ville je me trouve.

REGIS
salut morveux ! alors, on va voir le prof chen ? je suis sûr que papy voudra pas te donner de pokémon, t’es beaucoup trop nul pour ça !

Le laboratoire est vide. Une sorte de secrétaire ou de scientifique marche sans but sur le carrelage. Un vieux type en blouse m’attend au fond de la salle. Je m’approche de lui. Il me connaît puisqu’il m’appelle par mon prénom. Il me demande de choisir une des boules rouge et blanche qu’il y a sur le comptoir à côté de lui. Il y a des créatures dedans. Chacune est d’un élément différent. Une fois mon choix fait, le vieux type me félicite. Il me donne un engin informatique qui liste toutes les créatures de notre monde. Je ne connais rien à ce monde et je me demande pourquoi. Je ne sais pas ce que veulent ces créatures. L’autre jeune du village qui m’a insulté avant que j’arrive ici me défie. Nos deux créatures se battent. La mienne met KO la sienne. Pendant un temps, je crois qu’elle est morte et je m’en veux. Il m’explique que non, il suffit de la guérir pour qu’elle retrouve ses esprits. Je ne sais pas si je suis d’accord avec tout ça, mais j’ai l’impression de n’avoir pas vraiment le choix.

dans mon inventaire
il y a une épée
des potions
pour la vie
et la mana
un grappin
pour une quête annexe
du troisième niveau
et aussi des masques
qui font joli


Je voudrais porter un masque pour marcher seul dans la rue. Si la nuit il faisait jour on n’aurait plus à se cacher. Je vivrais sur une île au large du Groenland, dans un village de trente maisons toutes identiques. Je pourrais vivre là dans le froid et la nuit. Il y aurait de quoi se promener vers les glaciers qui donnent sur l’autre continent. Je fais des captures d’écran de livres que je ne lirai jamais. Les crabes marchent de travers et m’insutent. Je leur dis : calmez-vous les amis. Ils font claquer leurs pinces. La scène me terrifie et je rentre chez moi, dans une sorte de cabane. Il fait très froid mais personne ne s’en rend compte. À la télé, il y a un soap argentin intéressant. Je regarde des visages de femmes sur internet. Dans mon journal intime, j’écris trois phrases.

Je n’ai pas le temps de travailler, comment pourrais-je progresser ?


j’appuie sur le bouton turbo
de l’essoreuse
ma salade rentre dans
l’hyperespace

Suite de Kanley Stubrick :

Une heure passe et finalement
elle se réveille.

elle marche dans la pièce et
Le voit en train de regarder une émission
à la télévision.

Ça la met en colère.

elle fait une grimace – en fait, elle
espérait qu’Il continue à appeler des gens,
même pendant qu’elle dormait.

« c’est quoi ce programme ? »
dit-elle.

« L’Amérique du Sud et les Volcans »

elle se tient debout et regarde un bout de
l’émission avec Lui.

Sur l’écran, le narrateur parle
de la façon dont les volcans d’Amérique du Sud
sont désormais devenus toxiques et mauvais pour
l’environnement, ils brûlent
littéralement les océans.

Sur le plateau télévisé, un panache gris foncé
de fumée s’échappe près de la base d’un
des volcans et s’évapore quelque part
au-dessus de la mer encore torride.

Toxique, pense-t-Il.

« on devrait rencontrer de nouvelles personnes »,
dit-elle

« Oui », dit-Il, à l’écran de la
télévision, et puis à elle, « des personnes ».

Davantage de fumée.

elle s’accroupit et éteint la
télévision et dit :
« les océans vont disparaître – très bientôt ».

Il sent qu’il veut tousser mais, au lieu de ça,
il se lève et compose un numéro et appelle
Iwao – un acteur et vieil ami depuis très
longtemps – et Iwao dit : « Je réalise
un film – un film du genre road-movie
post-moderne – il sera entièrement terminé la semaine prochaine ».

« Bonnard plaidait pour une semblable matérialité de la fenêtre. Il n’y a rien à travers quoi tu puisses voir. Tu vois. » – Cole Swensen, L’Âge de verre (trad. Maïtreyi et N. Pesquès).


elle dit qu’elle a perdu ses chaussures ou que
quelqu’un les lui a prises, elle n’est pas tout à fait
sûre.

« j’ai perdu mes chaussures je crois. »

Il la regarde et dit : « Ok ».

Ça ne suffit pas du coup elle dit :
« non – pas hier. enfin, genre,
aujourd’hui, peut-être – quelqu’un a pris mes
chaussures. »

À nouveau, Il la regarde : « Ok ».

« je pense. » Un temps. Et puis :
« appelons des gens ».

D’abord, elle appelle Hikari, un ami
de l’université, et Hikari
dit : « Non, je n’ai pas – ne sais
pas où sont les chaussures ».

Il appelle Ruy, son entraîneur
particulier, et Ryuu dit : « Si
vous avez un espace sous
votre escalier dans la maison,
alors il y a une chance que les
chaussures soient peut-être à cet
endroit. »

Il la regarde.

« je n’ai pas un
escalier », dit-elle.

« Je n’ai aucun
escalier », dit-Il à
Ryuu.

Cinq minutes passent et elle décide
d’appeler Kamiko du travail (pas Kamiko
d’Okubo), et Kamiko dit :
« je suis un peu fatiguée là,
rappelle demain, s’il te plaît ».

elle raccroche.

« je vais vomir. »

« Je ne sens rien pour le moment »,
dit-Il.

elle part et va faire une sieste.

Il décide qu’il y a assez de temps pour
regarder une émission à la télévision
donc Il commande du caviar et
choisit un truc nouveau &
différent & passionnant
sur le programme
télévisé.

« Je te maudis, Mitterand, crève et pourris spectaculairement.
Tu nous as crevés et pourris, tu as mortifié notre sang.
Tu as vendu notre énergie à la puissance de l’argent. » – Ivar Ch’Vavar, Le Marasme chaussé.


C’est un jeudi soir quelque chose
comme avril (ou juin peut-être
— Il ne sait pas trop).

Le ciel a la couleur de la viande.

L’émission s’appelle Avions de la
Seconde Guerre Mondiale.

elle le sait parce que c’est écrit
en police Constantia jaune pétant sur
l’écran de la télévision.

Dans l’émission, les avions de la
Seconde Guerre Mondiale change constamment de couleurs.

Et le bruit des avions de la
Seconde Guerre Mondiale est remplacé par le bruit
de motos.

Par exemple, sur l’écran de la télévision :
un Savoia-Marchetti SM.81 rouge Cardinal
fait le bruit d’une Honda CB400N
et est abattu par un Kawasaki Ki-100
blanc Navajo faisant le bruit d’une
Suzuki GSX 650F.

« pourquoi est-ce que tu regardes des avions » dit-
elle, avec l’intonation d’une question mais sans
point d’interrogation.

« Ça me semblait intéressant sur le moment, je ne sais
pas — Je m’ennuyais. »

« ouais ? »

« Ouais, je m’ennuyais, mais ça pourrait – Je pense que ça
pourrait s’arranger, peut-être. »

Un Kokusai Ku-8 gris métallisé apparaît sur
l’écran de la télévision et fait plusieurs bruits de
Lubero G5, avant de changer de couleur et de disparaître
pour toujours, dans une brume de poussière et de vapeur et de nuage et
de fumée.

Le chiffre 17 clignote, dans une typographie
grasse et blanche à travers l’écran de la télévision.

Puis le générique. Et la chanson Mirage par Tommy
James & The Shondells.

« c’est tellement illimité », dit-elle, à l’écran
de la télévision.


Une tornade approche. Les habitants peuvent la voir depuis leurs jardins. Un adolescent passe sur sa motocross. C’est la nuit. Il y a des palmiers et un filtre rouge pour donner une impression d’été. C’est à un concert, un groupe de trois jeunes femmes. Il y en a une qui a les cheveux blancs. Elles chantent une chanson à propos d’une histoire d’amour qui n’a pas eu lieu. C’est aux États-Unis dans une ville inconnue. Elles jouent de la guitare. Celle aux cheveux blancs porte une veste noire avec des étoiles et des planètes. La musique rappelle les années 90 mais est jouée en 2018. Elle a cette nostalgie des vingt ans d’écart. Je me souviens du groupe Silver Chair et de sa chanson Suicidal Dream. Sur Youtube il y a un live à Much Music qui date de 2007. Je pense que j’ai vu cette vidéo à sa sortie. Silver Chair est un groupe que plus personne ne connaît. Le chanteur a des cheveux blancs aussi.

J’ai peur de m’assécher.

« qu’est-ce que tu regardes ? »
demande-t-elle.

« Un film d’avions »,
dit-il.

« qu’est-ce qu’un film
d’avions ? »

« Un film avec des avions –
J’imagine. J’en suis pas sûr. »

« quoi d’autre ? » dit-elle. « dans
le film. en dehors des avions ? »

« Je ne sais pas, il n’y a eu que
des avions pour le moment – »

elle se tient près de la fenêtre et
regarde un bout du film
d’avions.


Au tout début, il y a un corps. Des professionnels le regardent avec attention. Il faudra résoudre l’énigme que ce corps représente.

Les professionnels sont recrutés malgré eux, sans lien direct avec le corps. Cette absence de lien est voulue par les professionnels pour ne pas que les sentiments dépassent les faits.

Les sentiments éprouvés à l’égard du corps sont contenus le plus loin possible pour ne pas contaminer l’énigme du corps. Il est nécessaire que les alentours du corps soient expurgés de tout sentiment inutile. Être professionnel, c’est savoir s’extraire du sentiment.

Les véhicules utilisés par les professionnels les identifient très clairement comme tels. Toute la ville doit savoir que des professionnels sont sur l’affaire du corps, pour rassurer les habitants. Un corps sans professionnel pour s’en occuper, c’est potentiellement tous les corps de la ville abandonnés.

Cette pensée est insupportable.

Les corps introuvables d’une ville fondent ce qu’il est commun d’appeler trou noir. Au contraire du cimetière, le trou noir contamine. Les professionnels sont chargés de contrôler le trou noir, impossible dans son essence à combler.

Le corps peut pourrir, c’est pourquoi il est obligatoire de le stocker au frais. Les frigos de conservation ne sont pas ceux des cuisines, conçus pour les vivres. Manger le corps, ça serait intégrer le trou noir.

Le trou noir mange tout sur une très large circonférence. Il n’a pas de localisation précise, au contraire du cimetière, où les familles peuvent se rendre en pèlerinage.

Les professionnels regardent les pèlerinages comme un rituel nécessaire à la seconde vie du corps. Si le corps est absent, le pèlerinage ne peut s’accomplir en totalité. Les familles peuvent s’écrouler à mi-chemin et empêcher la circulation.

D’autres professionnels s’occupent de la circulation.


Rivage mène une enquête. C’est compliqué. Beaucoup plus compliqué que ce à quoi il s’attendait au départ. D’habitude il fait plutôt des petits boulots administratifs compliqués mais ça va, ça se fait. Là, l’enquête est vraiment costaud ; vraiment balèze dans son genre. Quand il rentre chez lui le soir, il ne peut pas s’empêcher d’y penser. Il regarde des vidéos sur internet pour l’aider. Très vite il regarde des vidéos sur d’autres trucs qui l’intéressent. Des clips aussi, pas mal de clips. Il imagine des chansons qui rendraient bien par rapport à des moments de son enquête, par exemple quand il arrive sur les lieux du crime, ou quand il a une révélation. Il sent que ça pourrait l’aider à vraiment avoir une révélation. Il a besoin de ça pour atteindre les objectifs fixés par ses supérieurs. Pendant la nuit il rêve de téléfilms policiers dans lesquels il est la victime introuvable. Ces expériences nocturnes lui permettent de comprendre la douleur ressentie par d’autres à cause de son inefficacité. Le matin il a pas trop la forme. Au bureau, ses collègues lui sourient. Il va à la machine à café pour se remonter le moral et prend un petit thé au citron. Après, il ouvre des dossiers avec des photos de personnes qui sont mortes et d’autres encore vivantes, mais il n’arrive pas à comprendre lesquelles sont quoi. Il se dit que ça la foutrait mal s’il allait interroger un mort. Dans les dossiers, sous les photos, il y a des témoignages hyper longs et plein de détails qu’il ne comprend pas, pour la plupart. C’est chaud toute cette paperasse, qu’il se dit.

J’imagine une scène dans un loft américain avec une rangée de larges baies, et derrière en contre-bas à plus de 300 mètres un golf vide (autour, des immeubles).

« Je me précipite dans les flammes. Je plains les sentiments. » – Marie de Quatrebarbes, 58 lettres à Ulrike von Kleist suivi de Ma bouteille de Leyde.


Copperfield repense à un film qu’il a vu le weekend dernier, et qu’il a bien aimé. Vous aimez bien les films d’action ? demande-t-il à Rivage, qui regarde dans son rétroviseur. Copperfield, vous avez remarqué qu’on nous suit ? Copperfield se retourne : une berline noire les talonne. Non, dit Rivage, pas la berline, le monospace. Plus loin, Copperfield aperçoit un monospace rouge. Ah oui, dit Copperfield. On va les semer, dit Rivage. Il prend la première bretelle de sortie qui se présente. Le monospace rouge ne les suit pas ; la berline oui. Copperfield se retourne à nouveau et tente de détailler le visage du conducteur. Il n’y arrive pas. Un peu de temps passe, puis ils sont en pleine campagne.


Au bord de la mer. Rivage regarde les dunes qui vont d’un bout à l’autre de la plage. Un peu plus loin, il devine les derniers étages d’un hôtel fermé jusqu’à l’été prochain. Copperfield ramasse un coquillage qu’il trouve joli et le met dans sa poche. S’il a dormi dans une de ces chambres-là, dit Rivage en montrant l’hôtel, il pouvait la voir sur la plage. Avec des jumelles par exemple. Peut-être sans. Copperfield plisse les yeux. Ça fait loin quand même, dit-il. Sauf s’il avait des jumelles. Un homme promène son chien et salue un autre homme en train de faire du kayak de mer. Il pagaie seul à contre-courant et s’éloigne progressivement derrière une avancée rocheuse. Il y a une crique là-bas, dit Copperfield. C’est là qu’on a retrouvé ses vêtements.


En fait, dit Rivage, je pense qu’on ne trouvera rien ici. Lui et Copperfield sont devant l’entrée d’une discothèque. Il n’y a pas de queue. L’enseigne de la discothèque est TROPICANA. Le videur leur fait face. Il n’a pas l’air tellement décidé à les laisser entrer. Vous pensez qu’on pourrait entrer ? lui demande Rivage. Je pense que mon patron ne serait pas tellement d’accord, répond le videur. Rivage regarde le parking derrière eux ; il y a une dizaine de voitures garées. Autour du parking, il y a des palmiers à moitié morts dans des pots bleus de deux mètres. Dites, ils sont à moitié morts vos palmiers, lui dit Rivage. Le videur ne répond pas. Entre-temps, Copperfield a fait le tour du bâtiment et se trouve derrière, près des bennes à ordures. Une femme en talons fume une cigarette près de l’issue de secours. Une autre femme, du même âge, la rejoint. Si on m’avait prévenue qu’il serait là ce soir, je ne serais pas venue, dit-elle. Ouais, dit celle qui fume. Le temps qu’elle finisse sa cigarette, elles ne disent rien. Copperfield les regarde ; elles ne le voient pas. Quand elles ouvrent la porte pour retourner à l’intérieur, il entend un genre de techno pas terrible. La porte se referme derrière elles. Copperfield attend encore un peu dans le noir, puis il fait demi-tour. Il retrouve Rivage dans sa voiture, à côté du parking. Alors ? demande-t-il. J’ai trouvé ça, répond Copperfield, et il lui montre la photo d’une digue en hiver.


Dans la voiture, Copperfield met par hasard une chanson que Rivage aime bien. Tiens, j’aime bien cette chanson, dit Rivage. Il commence à la fredonner. C’est une chanson en anglais dont il ne connait pas les paroles. Cette chanson le rend un peu triste. Il conduit à 180km/h. Copperfield regarde le compteur, puis Rivage. Tout va bien ? demande-t-il. Oui oui, dit Rivage. L’aiguille redescend à 130. Merci Copperfield, tout va bien. Ils doublent un camion.

J’ai lu La Fracture de Nina Allan parce que tout le monde disait que c’est hyper bien. En fait, j’ai trouvé ça plutôt nul. Intrigue : une adolescente disparaît pendant 20 ans, avant de finalement réapparaître. Ouvrez bien les oreilles : en fait, elle était tout ce temps sur une autre planète. Incursion dans la SF alors qu’on pense d’abord à un drame familial, belle astuce. Ensuite il y a plein de jeux sur le fait que ce soit vrai ou non, qu’il s’agisse d’une impostrice, qu’elle soit morte, il y a des trucs sur les extraterrestres et d’autres trucs sur les pourcentages qui doivent, je crois, créer un effet boeuf ; c’est assez chiant. 400 pages plutôt chiantes. Et le style est simplement d’un ennui sidéral. Je ne comprends pas l’engouement. Je vais lire autre chose.

Peut-on avoir une pensée écologique sans porter de chaussures de randonnée ?


Rivage et Copperfield attendent tous les deux à côté de leur voiture. C’était quand même une drôle de journée, dit Rivage. Oui, c’est vrai, dit Copperfield. On vit une sacrée aventure. Rivage regarde assez loin devant lui, la nature principalement. Est-ce que toute notre vie sera comme ça ? demande-t-il à Copperfield. Copperfield réfléchit. Quelqu’un passe en marchant dans leur dos. Je ne sais pas, finit par dire Copperfield. Il regarde lui aussi la nature, mais pas les mêmes détails. Dans l’ensemble, ils regardent tous les deux la même chose, mais dans le détail, ce qu’ils regardent n’a rien à voir. On est payés pour ça, dit Copperfield, c’est notre métier. Je ne sais pas si je veux faire ce métier toute ma vie, dit Rivage. Il pense aux soucoupes volantes. J’aimerais bien piloter une soucoupe volante. Copperfield imagine une soucoupe volante. Oui, ça doit être une belle expérience, dit-il. La nuit tombe vite, et bientôt, ils ne voient plus rien.

(Finalement, ce qui me gonfle dans l’écriture d’un roman policier, c’est tout ce qui tient du policier, à savoir les interrogatoires, la collecte d’indices, c’est vraiment terrible à écrire, sincèrement super chiant, moi je veux juste des cadavres et des mystères, sans aucune envie d’éclaircissement.)


J’ai lu des textes récemment, je ne sais plus lesquels, en revue je pense, je ne sais plus quelle revue, et donc en les lisant, je me souviens très distinctement avoir pensé : c’est facile. Ma seule pensée à la lecture revenait à ça : facile. Et j’ai aimé ça. J’ai aimé que ça soit facile. Je me suis dit : la littérature doit être facile. Quelque chose dans le genre. Un truc bien profond sur le moment complètement creux trente secondes plus tard. Après j’ai pensé à tout un tas d’autres trucs qui m’ont beaucoup moins marqué. On peut dire que ma pensée a atteint le maximum de ses capacités sur l’idée de facilité en littérature. Ce qui n’est pourtant pas grand chose. Je sais que je suis incapable de pousser cette idée plus loin que ça. Intellectuellement, ma limite est posée là. Je parle pour rien dire. J’aurais pu finir ce paragraphe dix lignes plus tôt. On bavarde pour passer le temps. Parfois des choses émergent du néant, comme la planète Terre et le système solaire. On tente de rejouer le même mystère à notre échelle. Une révélation du même tonneau, un bouleversement. Le projet d’un livre, c’est de pousser l’idée jusqu’au bouleversement. Alors que la plupart des gens s’arrêtent à l’idée, sans même chercher le bouleversement. Ils sont déjà tellement bouleversés par leur idée qu’ils n’ont pas l’énergie d’aller plus loin. C’est mon cas.


mes parents sont rentrés hyper tard et mon père était bourré

j’ai entendu ma mère lui gueuler dessus

sale con

j’entendais que d’une oreille

je me suis tourné vers mon poster de baten kaitos

j’ai regardé le héros avec ses cheveux bleus

jamais je pourrai aller comme ça à l’école

j’ai pensé

à moitié endormi

mon père me tuerait

100%


en repensant à ce que j’ai pensé hier, je me disais que si y avait plus aucun copyright et que tous les univers communiquaient entre eux, ça serait quand même un putain de délire

je suis allongé sur mon lit et je pense au putain de délire que ça serait

j’imagine des trucs incroyables

de liaisons entre les univers, sans aucune limite

la géographie totale des univers 3D

un open world 100% nouveau à chaque chargement

je fixe le plafond de ma chambre

mes parents sont partis manger chez des amis

une liberté absolue

juste : le kiff

il-li-mi-té


hier, je me suis aperçu que les univers ne communiquaient pas entre eux
je m’explique
je finissais banjo-tooie et j’ai cru reconnaître le château de super mario 64
j’aurais juré que c’était le même
et je me suis dit que peut-être j’allais pouvoir directement passer de l’univers de banjo-tooie à celui de super mario 64 sans avoir à changer de jeu,
parce qu’en fait les deux jeux depuis le début étaient dans le même univers
mais que personne me l’avait dit
même les concepteurs du jeu l’avaient pas dit
parce qu’ils y avaient pas pensé
en fait, ils le savaient même pas
j’ai pensé
mais finalement
c’est tout l’inverse qui s’est produit, à savoir qu’il s’agissait d’un autre château, sensiblement le même, les mêmes textures, le même toit rouge, presque tout quoi, mais finalement pas le même, juste un autre château du genre super mario 64, du genre classique
donc voilà
les univers communiquent pas
question de copyright

À la radio, ils ont parlé d’un adolescent qu’un promeneur a retrouvé mort dans les bois, et dont on ignore l’identité. Tel qu’ils en parlent, j’ai l’intuition de le connaître.

« Deux jeunes américaines en train de conduire
Le long d’une forêt ne voyant pas qui les poursuit ni comment
elles seront rattrapées » – Sandra Moussempès, Sunny girls.


Douglas Swain m’avait appelé deux heures plus tôt pour que je le rejoigne chez lui, dans la résidence privée de Myriad Pro qui longe le littoral. Il semblait agité et m’avait demandé de faire au plus vite. Soixante-cinq kilomètres me séparaient de chez lui. J’ai pris ma voiture et me suis dirigé vers l’autoroute. Juste après m’être inséré, je me suis souvenu avoir oublié de fermer la porte de chez moi, et j’ai perdu du temps à rectifier mon erreur. Sur la route, j’ai écouté la radio en fixant les feux des voitures qui se succédaient devant moi. Les émissions n’avaient rien d’intéressant, et je rentrais à plusieurs reprises dans des tunnels d’absence qui me mettaient en danger. Je repensais à ce que m’avait confié un ami que je n’avais pas vu de longue date, Steve, croisé par hasard au supermarché alors que je m’apprêtais à passer en caisse. Il me demandait ce que devenait ma femme, mais j’avais la ferme intuition qu’il savait en me posant sa question que nous avions divorcé depuis peu. M’est venu l’idée qu’il couchait avec elle et qu’il me posait la question pour me narguer, en quelque sorte. J’ai remarqué qu’il achetait du dentifrice et des yaourts aux fruits. J’ai imaginé le goût que produisaient les deux mêlés. On est restés un moment Steve et moi, l’un à côté de l’autre, à la caisse, sans dire un mot. Juste après que j’ai payé, il m’a demandé si j’avais eu connaissance de ce qui était arrivé à Douglas Swain. Je ne voyais pas de quoi il voulait parler. Il m’a quitté juste après sans en dire plus en prétextant un rendez-vous urgent. À la radio, ils ont passé la version live de Fade Into You qui date de 1994. J’ai connu un nouveau moment d’absence qui me fit mordre une suite de bandes blanches. J’ai pensé à Douglas Swain, seul dans sa maison, en train de m’attendre. J’ai pensé à ce qui pouvait l’effrayer à ce point. Au téléphone, j’avais senti de l’effroi, une véritable peur, comme si quelqu’un venait de pénétrer chez lui, ou rôdait dans son jardin. Mais il ne devait pas s’agir de cela, auquel cas il m’aurait sans doute averti de cette menace en particulier, ou aurait appelé à la police, bien plus à même de gérer ce type de situation. Il devait s’agir d’un problème intime, subtil, qui requérait une conversation face à face. Un problème dont Steve avait apparemment eu connaissance. J’ignorais pourtant jusque-là que Steve et moi avions Douglas Swain en connaissance commune.

L’image contient peut-être : chien.


Si je devais réaliser une exposition d’art contemporain, je disposerais sans doute dans la grande pièce principale 8 PC en LAN pour faire un tournoi TFT et le premier gagne un goodie.

Imagine, payé une blinde pour jouer toute la journée, et même pas besoin d’être pro.

Les cerveaux cosmiques un doigt sur le menton en mode : hmmmmmmm inspirant, alors que moi je me demande si je dois jouer Warmog ou GA sur Shivana niveau 2 mdr.

Dans cinq ans à tout péter les expos ça sera plus que ça, 100%. Avec l’argent public.


Décidément, la littérature veut du social.

Si je connaissais tous les codes secrets je pourrais avancer plus vite à travers la ville. On trouve les codes dans des journaux de bord abandonnés sur des bancs. Personne ne les prend pour ne pas entraver l’avancée des autres. Sauf que personne ne les trouve. Il faut une carte pour connaître tous les emplacements de tous les journaux. Les cartes coûtent trop cher, et plus aucun commerce n’en vend. Dans les commerces les types sont à peine aimables et vendent tout un tas de boîtes de conserve dont personne ne veut. On ne peut pas entrer dans toutes les boutiques, ni dans tous les immeubles. On ne peut entrer que là où ça a un sens.

« Voyez les États-Unis. Les vedettes se font mettre des ovaires de platine, et il y a des assassins qui essaient de battre le record de l’horreur en matière de crime. Vous qui avez beaucoup vécu, vous le savez. Des maisons, encore des maisons, des visages différents et des coeurs identiques. L’humanité a perdu ses fêtes et ses joies. Les hommes sont si malheureux qu’ils ont perdu Dieu lui-même ! Et un moteur de 300 chevaux ne parvient à les distraire que lorsqu’il est piloté par un fou qui peut s’écraser dans le fossé. » – Roberto Arlt, Les Sept Fous (trad. I. et A. Berman).


Dans Rivage au rapport, il y a une succession de paragraphes à propos d’un dessin-animé imaginaire. Je pense que c’est le meilleur du texte, donc les voilà à la suite, même s’ils ne sont pas du tout à la suite dans le manuscrit :

Bien avant qu’elle ne meure, la serveuse regardait une série animée qui retrace les aventures d’un jeune garçon dans un univers fantastique en images de synthèse. L’aventure est conçue de telle façon que le jeune garçon doit affronter de nombreux ennemis pour échapper à la mort. L’environnement dans lequel il vit est fait d’égouts sordides et de marécages pollués, mais sa personnalité excentrique et optimiste lui permet d’entrer en communion amicale avec d’autres êtres du même univers sordide et pollué, comme un androïde psychopathe et un chien savant. Ils ont tous une vision bien arrêtée à propos de l’univers en images de synthèse, et un passé terrible. Par exemple, le chien savant a perdu toute sa famille dans une boucherie exterminatrice à l’encontre de sa race de chiens savants. Cette boucherie exterminatrice avait été orchestrée par l’androïde psychopathe, mais ni l’androïde ni le chien ne connaissent les horribles liens qui les unissent. Ces trois personnages franchissent une série d’épreuves et d’aventures qui renforcent leurs liens et augmentent leurs compétences de combat. Le jeune garçon apprend à grandir au milieu du désastre, et chaque épisode est l’occasion d’une morale sur le monde, l’identité et la quête de vivre. Dans l’épisode du jour que regardait la serveuse, le chien savant mourait. Le jeune garçon et l’androïde se mettaient alors en quête de le ressusciter, ce qu’ils parvenaient à faire grâce à une méthode astrale obscure qui alliait magie noire et transmutation humaine. Le chien savant revenait d’entre les morts mais était possédé par un esprit satanique millénaire qui voulait tuer le jeune garçon. C’est ainsi que l’épisode se terminait.

Dans l’épisode suivant, le chien savant désormais possédé par une entité démoniaque tente de tuer le jeune garçon, tout en mettant son assassinat sur le dos de l’androïde psychopathe. Les tentatives de meurtre sont présentées sur le mode comique pour ne pas heurter les sensibilités. Pour sauver son compagnon canin, le jeune garçon se lance à la recherche d’un temple d’inspiration japonisante dont il a entendu parler et à l’intérieur duquel un sage serait capable de détruire l’entité démoniaque. Les péripéties sont nombreuses dans cet épisode, car le voyage est long jusqu’au temple, à travers les déserts, les bois et les océans. Ils l’atteignent finalement mais ne trouvent aucun sage à l’intérieur ; l’androïde est contraint de tuer le chien savant (scène dramatique).

Dans l’épisode suivant, le jeune garçon est triste de ne plus continuer son aventure en compagnie du chien savant démoniaque. L’androïde psychopathe tente de lui remonter le moral en faisant divers tours de magie avec ses aptitudes technologiques, mais le garçon ne le regarde même pas. Dans les bois, ils rencontrent un écureuil kamikaze qui leur apprend qu’un sage vivant seul au beau milieu du continent glaciaire est capable de ressusciter leur ami. Le voyage sera périlleux, et l’écureuil les accompagne. S’ensuit une scène émouvante où l’écureuil dit au revoir à ses proches ; un petit pleure dans les bras de sa mère ; un ami de confiance lui tend un gland, pour la bonne auspice.

Dans l’épisode suivant, le jeune garçon, l’androïde psychopathe et l’écureuil kamikaze se retrouvent pris au piège d’une forêt enchantée. Les branches et les racines des arbres les ont immobilisés contre les troncs ; ils se débattent. L’androïde tranche les branches avec ses katanas mais elles repoussent aussitôt (l’écureuil se moque de lui). Une ombre encapuchonnée sort alors des fourrés et leur demande ce qu’ils viennent faire ici. Le jeune garçon lui explique qu’ils sont à la recherche d’un sage qui vit sur le continent glaciaire pour ressusciter leur ami chien. L’ombre lève le bras gauche : les branches et les racines reprennent leur immobilité naturelle, les trois compagnons tombent sur le sol. Puis elle les guide jusque dans une cave sombre qui lui sert de repaire. Là, autour d’un feu de camp, elle leur apprend que le sage est mort il y a déjà plusieurs mois (plan final sur les flammes qui s’élèvent).

Dans l’épisode suivant, l’ombre rassure le jeune garçon : une autre source d’énergie créatrice pourrait ressusciter leur compagnon. Elle est cachée au coeur de la terre, mais il ne la trouvera qu’au terme d’un long périple. Il n’y a pas de plan écrit pour l’atteindre, le seul plan est ici (l’ombre appuie sur la poitrine du jeune garçon), en toi. L’écureuil kamikaze dit qu’ils vont donc être obligés d’ouvrir le jeune garçon ; l’androïde lui donne un coup de coude mécanique. L’ombre continue : cette source d’énergie est protégée par la plus terrible des bêtes ; ils doivent s’équiper et beaucoup s’entraîner pour la vaincre. L’androïde proteste en montrant ses sabres : ils sont de vrais combattants. Mais l’ombre insiste, ce n’est pas de ce type d’arme dont ils auront besoin contre la bête. Leur voyage ne fait que commencer.

Dans l’épisode suivant, le jeune garçon, l’androïde psychopathe et l’écureuil kamikaze s’entraînent avec l’ombre, qui leur inculque de nouvelles compétences mystiques interdites. Au soir du septième jour d’entraînement, pendant que l’écureuil et l’androïde dorment dans un recoin de la caverne, l’ombre explique au garçon qu’il a une dernière technique à lui enseigner, une technique qu’il ne pourra utiliser qu’une seule fois. C’est un pouvoir qui peut instantanément sauver le monde, ou le plonger dans le néant, prévient l’ombre. C’est un pouvoir qui peut révéler le sens des choses autour de nous. Le garçon salut l’ombre en inclinant son buste : il est prêt à apprendre cette technique.

Dans l’épisode suivant, le jeune garçon, désormais détenteur de la technique capable de révéler les choses, atteint une première ville, dans laquelle les habitants sont manipulés par un sort psychique puissant émanant d’un oeil noir installé au sommet du palais royal. Ils répètent en boucle les mêmes phrases, et sont tous courtois jusqu’au malaise. L’écureuil kamikaze se fait lui aussi avoir par le pouvoir hypnotique, et rejoint la foule des lobotomisés. La quête secondaire pour sauver son ami amène le jeune garçon à affronter le cerveau responsable de cette manoeuvre totalitaire : un mage noir dont le troisième oeil est dissimulé sous un turban à motifs labyrinthiques. Une flèche mystique plantée dans son iris le détruit et délivre les habitants du sortilège. Les trois héros peuvent poursuivre leur voyage.

Dans l’épisode suivant, un chasseur de têtes est engagé par le seigneur des ténèbres pour entraver la route du jeune garçon et le neutraliser. Le jeune garçon et ses deux amis parviennent jusqu’à la capitale du pays, où le roi devenu fou enferme ses opposants dans des cachots sous son palais. L’écureuil kamikaze est arrêté par la garde rapprochée du roi alors qu’il volait un talisman sacré, et finit dans les cachots. Le jeune garçon et l’androïde psychopathe le retrouvent lui et 779 prisonniers politiques après avoir menacé deux gardes naïfs. Tous sont déterminés à renverser le pouvoir et à destituer le roi, mais ce dernier a déjà pris les devants et s’apprête à ensevelir les cachots pour de bon.

Dans l’épisode suivant, le jeune garçon, ses deux amis et les 779 opposants politiques parviennent à s’échapper du cachot grâce au talisman volé par l’écureuil kamikaze, qui permet de contrôler la terre et les éléments inertes. Alors qu’ils projettent tous de fuir loin de la capitale, le jeune garçon explique qu’il ne peut pas laisser un tel roi au pouvoir, et qu’il est de son devoir de l’affronter. En utilisant les techniques apprises lors de son entraînement, il neutralise tous les gardes et s’empare psychiquement du despote ; il le noie de pensées macabres qui le tuent. Quand il se retourne, le jeune garçon a les yeux noirs et du sang coule des paupières.

Dans l’épisode suivant, le jeune garçon et ses deux compagnons quittent la capitale, désormais libérée de son despote. L’androïde psychopathe et l’écureuil kamikaze sont inquiets pour leur ami, qui semble se battre mentalement pour ne pas succomber aux pulsions noires, contre-coup des techniques enseignées par l’ombre. Un être lumineux doit rééquilibrer sa balance intérieure. Le jeune garçon nie avoir besoin d’aide et part s’isoler. Il fait face à son double maléfique reflété dans une flaque d’eau. Les arbres autour de lui se distordent et sont remplacés par une pièce ornée de colonnades baroques. Son double le prend par les épaules puis le frappe au ventre ; le jeune garçon s’effondre sous le choc, l’image se fend en deux.

Dans l’épisode suivant, une scène aussi terrible que violente voit s’opposer le jeune garçon et son double maléfique. Le double maléfique explose l’estomac du jeune garçon avec son genou et l’encastre dans un mur en un coup de poing dont la vitesse dépasse celle du son. Le jeune garçon vomit du sang et de la bile ; ses yeux sont révulsés. Le double se colle à son front d’un nouveau bond supersonique et lui assure qu’il va dévorer son esprit, désormais englouti par les ténèbres. La peau du jeune garçon se colore en noir ; une scène intérieure s’ouvre en lui, peuplée de cadavres.

Dans l’épisode suivant, le jeune garçon, toujours dans son paysage intérieur, parle à des ombres qui ressemblent à ses parents. Il leur demande pardon (on comprend que ses deux parents sont morts lors d’un incendie dont il est responsable), mais les visages de ses parents deviennent ceux de monstres qui veulent le dévorer. La scène émeut aux larmes la vendeuse car elle y reconnaît ses propres angoisses. C’est un cauchemar, se répète le garçon comme pour se réveiller. Il hurle plusieurs fois le mot cauchemar, qui s’affiche un peu partout à l’écran en kanjis. Son double maléfique le fixe en riant d’un rire diabolique ininterrompu ; il croit le garçon détruit de l’intérieur. Alors, il y a une musique épique et le garçon ouvre les yeux. Ses cheveux sont devenus blancs, preuve qu’il a surmonté ses démons pour trouver au fond de lui la force de se pardonner. Il fait comprendre à son double que tout est fini et le tue d’un seul coup en lui arrachant le coeur.

Dans l’épisode suivant, les trois héros quittent la forêt vers le mausolée pourpre. L’androïde psychopathe apprend au jeune garçon que le seigneur des ténèbres contrôle désormais la majeure partie du monde. Le mausolée pourpre est peut-être déjà entre ses mains. Tous les rois se sont pliés à son pouvoir et appliquent aveuglément ses ordres. Il nous cherche et n’hésitera pas à nous tuer, conclut-il. Leur voyage les fait passer par des jungles, des banquises et des îles suspendues, où les temples sont détruits et les villages pillés ; cette désolation laisse le jeune garçon indifférent. L’épisode se clôt sur une scène impressionnante : au centre d’une plaine, des milliers de sbires du seigneur les encerclent et les attaquent, que le jeune garçon pulvérise en un instant grâce à une onde de choc mentale. On comprend alors que sa puissance est démesurée.

Dans l’épisode suivant, le chasseur de têtes passe à l’attaque. Près d’un marécage, il se fait passer pour un mendiant dépouillé par les soldats du seigneur des ténèbres. L’écureuil kamikaze se laisse prendre au piège et s’approche dangereusement de l’homme en lui tendant un quignon de pain. Le chasseur de têtes révèle alors sa véritable identité et enfonce un poignard dans la gorge de l’écureuil, qui laisse tomber son quignon dans la boue. Le jeune garçon ne s’affole pas, comme s’il avait lu dans le futur et prévu la mort de son ami. L’androïde psychopathe s’apprête à riposter mais le jeune garçon lui fait comprendre d’un signe de la main qu’il n’est pas nécessaire d’intervenir. De façon miraculeuse, l’écureuil se réveille et accroche six bâtons de dynamite à la ceinture du chasseur de têtes. Il s’échappe d’un salto arrière et actionne le détonateur. L’explosion tapisse l’arrière-plan tandis que nos héros quittent le marécage.

Dans l’épisode suivant, tout est mis en scène pour faire comprendre qu’un affrontement final entre le jeune garçon et le seigneur des ténèbres est inévitable. Les plans montrent le mausolée pourpre, le seigneur des ténèbres assis sur un trône dans l’obscurité, des milliers de sbires armés autour du monument, le ciel d’un gris absolu, des gros plans sur le sourire démoniaque du seigneur, des brasiers et la foudre. Quand le jeune garçon pose son pied à proximité du mausolée, une bulle de protection maléfique l’empêche de passer. Il place lentement la paume de sa main gauche sur la surface noire et récite à voix basses des incantations qui font voler la bulle en éclats. Le seigneur des ténèbres comprend qu’il va affronter un adversaire de taille, mais continue de croire à sa victoire et à sa domination totale.

Dans l’épisode suivant, la révélation est de taille : le seigneur des ténèbres n’est autre que le chien savant ressuscité grâce à la magie noire. Un flashback détaille son histoire depuis le début de l’aventure. Il savait pertinemment que l’androïde psychopathe avait tué tous les membres de sa race, mais il n’avait pas assez de puissance pour se venger en tant que seul chien savant. Il devait revenir d’entre les morts pour acquérir la divine connaissance des flammes. Sa mort avait donc été calculée depuis le départ. Autre révélation : l’androïde psychopathe était son complice depuis le départ et avait feint de le tuer (scène où l’androïde psychopathe rejoint le chien savant à côté de son trône). La raison de son adhésion au parti du chien savant n’est pas vraiment explicitée. L’écureuil kamikaze tombe des nues et sa mâchoire se décroche. Le chien savant déclare au jeune garçon que son aventure s’arrête ici.

Dans l’épisode suivant, le jeune garçon et le chien savant s’affrontent dans un combat dantesque tandis que l’androïde psychopathe et l’écureuil kamikaze croisent le fer de façon plus attendue. Le jeune garçon symbolise le Bien et le chien savant le Mal. À un certain stade de l’affrontement, le chien savant s’apprête à achever le jeune garçon, mais l’écureuil kamikaze se sacrifie et fait diversion en se faisant exploser (sa dernière réplique, adressée au jeune garçon : accomplis ta destinée). Son sacrifice met le jeune garçon dans une fureur terrible qui décuple ses facultés psychiques et irradie un halo lumineux divin autour de son corps. Plus personne ne peut l’approcher et même le chien savant est obligé de garder ses distances. L’androïde psychopathe croit déceler une faille mais meurt transpercé par une flèche de lumière. D’autres milliers de flèches de lumière sont propulsées dans tous les sens et criblent les ennemis, notamment le chien savant, en plein milieu du front. Victoire du jeune garçon.

Dans l’épisode final, le jeune garçon sort lentement du mausolée pourpre, l’écureuil kamikaze dans les bras. Il le dépose sur une dalle de pierre. Le mausolée pourpre a retrouvé son aspect d’origine et les nuages noirs ont disparu. Le chien savant et l’androïde psychopathe ont été transformés en sphères rouges ; leurs sbires en jeunes arbres et en statues. Une sérénité profonde s’est emparée des lieux. Le jeune garçon pose sa main sur le front de son ami. La narration revient sur des moments passés heureux entre le jeune garçon, l’écureuil kamikaze, l’androïde psychopathe, le chien savant (période pré-démoniaque) et certains personnages secondaires dont les visages disent vaguement quelque chose. Cette suite de scènes émouvantes se clôture sur un portrait du jeune garçon qui sourit à la caméra avant de disparaître dans un brouillard blanc. L’écureuil kamikaze se réveille en sursaut et comprend en regardant autour de lui que le monde est sauf.

Dans la scène post-générique, l’écureuil kamikaze retrouve sa famille. On le voit raconter à ses enfants l’histoire du jeune garçon, qui est aussi son histoire à lui.


Je suis dans un grand appartement à New York. Ce n’est pas chez moi. J’aimerais que ce soit chez moi. L’appartement doit être au 58ème étage d’un building d’un quartier riche. Il y a des baies vitrées sur tout un côté qui ouvrent sur un autre building aux fenêtres en miroir. Je me vois vaguement à 30 mètres de distance. La déco est haut-de-gamme. Je suis debout, sans doute parce que je ne suis pas chez moi. Je suis bien. Je dois être très riche pour me sentir aussi bien dans un intérieur aussi haut-de-gamme. Il n’y a rien sur la table basse. J’habite peut-être l’immeuble d’en face. Je suis dos à la cuisine, et face à un super tableau dont j’ignore l’auteur. Je crois que c’est la vie que j’ai envie de mener. Je suis à ma place. Les choses pourraient durer ainsi éternellement. J’aimerais que personne n’arrive, car cela me forcerait à sortir de l’instant parfait que je vis dans le pur agencement des choses autour de moi.

« Nous savons que nous mourrons. C’est en un sens la grâce qui nous sauve. Aucun autre animal que nous ne le sait. C’est l’une des choses qui nous situent à part. C’est notre tristesse particulière, cette connaissance, et donc une richesse, une sanctification. Le refus définitif de notre réalité fondamentale, dans cette perspective, consiste à produire la mort. Voilà le drame irréductible de notre différence. Une mort inutile. Une mort systématisée, conçue cérébralement. » – Don Delillo, Les Noms (trad. M. Véron).


Encore plus irritants que les romans évidemment nuls sont ceux qui ont l’air apparemment bien.

En ce moment, je me pose beaucoup de questions sur la littérature. Sur ses enjeux, sa réception, ses acteurs, etc. Enfin plein de pensées qui ne trouvent aucune résolution. Je rentre dans les librairies sans envie, je regarde ici et là ce qui s’écrit, je me demande pourquoi des gens ont écrit tout ça. L’époque a tellement à nous proposer et on écrit ça, c’est ce que je pense souvent dans les librairies. Je veux quelque chose qui n’existe pas (encore). Je ne veux pas quelque chose qui a déjà existé. Chaque semaine je vais acheter 4 nouveaux tomes de Jojo’s Bizarre Adventure et je me dis : je veux ça. Je veux une littérature qui ressemble à ça. Mais je ne veux pas l’écrire, je veux la lire. Je veux que quelqu’un écrive ça pour moi. Pourquoi personne n’écrit ça, c’est ce que je me demande souvent. Où sont les gens qui écrivent ça, je veux les connaître, je veux savoir. Tous les livres dans les librairies, c’est comme s’ils n’étaient pas pour moi, comme s’ils étaient destinés à des milliers d’autres lecteurs et qu’ils m’excluaient précisément moi. Je ne sais plus quoi lire. Je suis en train de perdre le goût. Je ne sais pas si ce que je dis a le moindre sens ni la moindre réalité. Je n’attends rien de précis. Je suis ouvert à tout.

Sur un site, je lis que l’astéroïde Apophis a une chance sur 100 000 d’anéantir l’humanité en 2029. D’un coup, j’ai peur. (J’avais déjà parlé de ma peur des astéroïdes il y a quelques mois.) À chaque fois, en tête, j’ai les dernières images de Melancholia.


À Vannes, on découvre l’existence de Geneviève Asse, peintre du bleu qui a connu van Velde et travaillé avec Beckett et Silvia Baron Supervielle, qui vit aujourd’hui à Vannes dans une grande maison repeinte en blanc sans doute pour mieux mettre en valeur son bleu, a 96 ans, et inspire une quiétude totale en même temps qu’une très forte admiration.

Je me dis que vivre dans une commune de moyenne taille apparemment déprimante pourrait être agréable, donnant à la déprime (notamment hivernale) un confort, ou au moins une douceur.

Dans les rues, je n’avais jamais vu autant de SUV, et je me dis que mon aversion envers les SUV ne fait qu’accroître la quantité de SUV en circulation, selon un système pervers de courbes inverses qui me plonge toujours plus dans le désarroi.

Il me reste moins de cent pages de L’Infinie Comédie et, d’une certaine façon, ça me rend triste.


J’ai eu 28 ans la semaine dernière. Il y a un autre modèle de banane Nike sur leur site officiel qui rend vraiment bien, la Nike Sportswear Heritage, en Obsidienne/Noir/Blanc, pour 20€, c’est vraiment pile le genre de banane que j’aimerais avoir, mais c’est sans doute dégueulasse d’acheter une banane neuve à Nike en 2019, considérant tout ce qu’on sait de Nike, ce qui est vraiment con parce que leur banane est vraiment au top par rapport à mes attentes dans ce domaine. C’est terrible qu’un aussi bon produit soit fabriqué dans des conditions aussi épouvantables. Sur le site ils disent que le sac banane Nike Sportswear Heritage nous permet de transporter notre équipement et d’y accéder facilement (pile ce que je recherche pour stocker mon portefeuille, mon téléphone et mes clés). Il comporte une lanière ajustable permettant de personnaliser la tenue (par exemple moi j’envisage de porter ma banane au niveau du torse et non autour de la taille comme nombre de pères français, dont le mien, circa 1996). Dans le centre commercial E. Leclerc à côté de chez moi il y a justement une boutique Nike Factory Store. J’irai peut-être y faire un tour, par curiosité. Regarder la banane. Me dire qu’elle conviendrait parfaitement à mes besoins. Peut-être ne pas avoir tellement d’états d’âme. C’est une banane qui peut me servir toute ma vie, comme mon coupe-vent Uniqlo, me dirais-je au moment de l’acheter, comme pour atténuer le problème de l’achat en lui-même. Sacrée époque que celle dans laquelle on vit.


J’ai écouté sur Youtube plusieurs chansons de By The Way, des Red Hot Chili Peppers. C’est un album que j’aime bien et que j’écoute depuis longtemps. Je me souviens d’une fois en voiture où je pleurais en écoutant l’album, mais je ne sais plus à cause de quoi. Sur Californication ils ont deux bonnes chansons aussi, Porcelain et Otherside. Après ils ont fait de la merde. J’avais demandé une guitare électrique vers mes 13 ans, et je jouais les premières notes de Otherside en suivant des tablatures. C’est à peu près tout ce que j’ai jamais joué. La chanson Get Up de Ghinzu aussi est très bien, je l’écoutais beaucoup au lycée. Je regarde les bananes Nike sur Vinted. Il y en a une bordeau en très bon état, vendue par pierrefremaux, que je pense acheter, mais que je n’achèterai pas.

« Et ce qui me plaît, chez le gourou sur le range-serviettes, c’est qu’il ne se moque pas d’eux, ne hoche même pas sagement la tête sur son gros cou brun. Il se contente de sourire en cachant sa langue. Il est comme un bébé. Tout ce qu’il voit pénètre en lui sans faire de bulles. Il reste simplement assis. Je veux être comme ça. Capable de rester assis tranquillement en attirant la vie à moi, un front après l’autre. » – David Foster Wallace, L’Infinie Comédie (trad. F. Kerline).


Gardez ça en tête : vous pouvez tout écrire.

Trop mangé de ces patates carrées pleines de purée. Je me traîne difficilement au cinéma. Je tombe sur un nu au crayon intitulé personne.jpg. J’écoute Missing d’Everything But The Girl. J’ai vu Le Daim, qui est un film ok. Pendant une partie du film, j’ai pensé aux personnes assises devant moi. J’ai écouté Soldier On de Richard Hawley. À pied pour rentrer chez moi, je me suis regardé dans plusieurs vitrines. J’ai regardé de loin les gens en terrasse, sans voir aucun visage.

Ces livres, que l’on trouve spécifiquement dans de vieilles maisons de famille, souvent au deuxième étage, dans une chambre d’ami aux bibliothèques en bois foncé, et fabriqués artisanalement, on imagine, en centre France, d’un nouveau lyrisme du milieu des années 80, écrits par, on imagine toujours, des hommes, la cinquantaine, dont les noms nous échappent, sans aucune visibilité, aucun dépassement public, deux noms sur une page blanche, des objets qui appartiennent au lieu et qu’on n’oserait soutirer sous aucun prétexte, qui se détruiraient même dans l’instant une fois la porte d’entrée franchie, des bibelots, de la littérature morte, du patrimoine littéraire, qui inspirent un peu de nostalgie, mais plus beaucoup d’idées.


les frites au four
font le taf

-

ouais
excellente cette soirée
devant Fort Boyard

Olivier Minne
me rassure

-

je fixe
mon téléphone
et actualise Facebook
15 fois d’affilée

-

À Lamballe, je tournais sur moi-même pour ne pas être reconnu. Je commande toujours au Drive si je suis seul.

-

si je patiente
assez longtemps
face à la mer
peut-être
réussirais-je
à nager

« Quelle chance,
plus besoin de répondre au téléphone une fois mort. » – Eleni Sikelianos, Le Tendre inventaire des vivants & des morts (trad. B. Trotignon).


Je relis Cooper, Duras, Guibert, j’essaie de trouver quelque chose de très précis (je ne trouve rien).

« On est simplement allongés là tout habillés, côte à côte, comme deux amis. La nuit tombe dehors et ça fait cet effet que j’ai toujours aimé dans ma chambre. Au bout d’un moment, j’ai voulu revoir Jim. Ça faisait peut-être une heure que je ne l’avais pas vu. Il rêvassait, couché sur le dos je crois, mais il a tourné les yeux vers moi. Puis on a pensé un moment, sans doute l’un à l’autre. J’ai pensé à lui, forcément. » – Dennis Cooper, Défaits (trad. J. Dorner).


C’est Dylan qui m’ouvre quand je sonne chez elle. Elle me dit : salut, t’es revenu finalement. Elle a un gobelet en plastique à la main. Il a l’air d’y avoir beaucoup plus de monde dans la maison que tout à l’heure. Elle me prend par la main et m’emmène dans sa chambre. La fille qui dormait sur son lit n’est plus là. Elle ferme la porte de sa chambre à clé et me dit de m’assoir à côté d’elle. Elle me demande ce que je pense de Peter. Je lui dis : je sais pas, je le connais pas tellement. Elle a super envie de coucher avec lui. Je lui dis : ouais, il a l’air cool. Je regarde par la fenêtre. La lumière de la terrasse est allumée. Ils sont une dizaine en train de boire dans la pelouse. Trois types jouent au foot. Je remarque que Dylan a plusieurs posters de Placebo et de Nine Inch Nails. Elle envoie des messages à quelqu’un. Je lui dis : t’écris à qui ? Elle fait comme si elle ne m’avait pas entendu et finit son verre. Je ne sais pas trop quoi faire. Je reste assis sur le lit. Son téléphone sonne trois fois d’affilée. J’essaie de voir qui l’appelle mais elle cache systématiquement l’écran. Elle n’a pas l’air d’avoir envie de répondre. Je lui dis : tu réponds pas ? On entend des cris depuis la terrasse. On s’approche de la fenêtre. Une fille a l’air d’être tombée dans les pommes. Un type lui fait du bouche à bouche. Je ne sais pas vraiment s’il lui fait du bouche à bouche. Je dis à Dylan : merde, on devrait appeler les secours. Elle ouvre la fenêtre et prend des photos de la scène avec son téléphone. Ensuite elle prend un selfie de nous deux. Je me rends compte que je suis vraiment pâle. On dirait que je vais vomir. Dylan me dit : bon, on les rejoint ? Je lui dis que j’arrive. Je reste peut-être un quart d’heure assis sur son lit à regarder tous ses posters. Je m’allonge. Là, je ne sais pas combien de temps passe. À un moment, une fille rentre et me dit : tout va bien ? Je ne reconnais pas sa voix. Je crois qu’elle s’allonge à côté de moi parce que je sens que le matelas se creuse sur ma droite. Quand je me réveille, je suis seul dans le lit. Il fait encore nuit. Je mets un moment avant d’émerger. Je n’entends plus de musique. Je m’approche de la fenêtre et je remarque que le corps de la fille évanouie est toujours dans la pelouse. Je quitte la chambre de Dylan et dans le couloir je l’entends coucher avec Peter dans la chambre de ses parents.

En fin de matinée, une ambulance a déjà embarqué le corps de la fille. Quatre policiers sont dans la maison. Ils interrogent ceux qui ne sont pas partis pendant la nuit. Dylan n’est pas là. Je demande : quelqu’un a vu Dylan ? Un gars me montre le plafond avec son index. Je crois le voir sourire. Je monte et entrouvre la porte de la chambre de ses parents. Elle est seule dans le lit. Elle porte un tshirt noir imprimé avec la pochette du deuxième album de Blur. Je lui secoue l’épaule. Je lui parle tout bas. Je lui dis : dylan, dylan, les flics veulent te voir. Elle me dit : les flics ? j’arrive. Quand je redescends, deux gars disent aux policiers que la fille s’est suicidée. À ce moment-là, un des policiers à l’écart me regarde avec insistance, comme si je connaissais la vérité. Les policiers posent d’autres questions pour savoir ce qu’elle faisait avant de mourir, avec qui elle était. Un des deux gars me pointe du doigt et leur dit : demandez-lui, c’est lui qui l’a vue pour la dernière fois. Dylan arrive. Elle ne s’est pas changée. Elle a toujours son tshirt noir et un slip. Le policier à l’écart continue de me fixer. Il a un rictus qui sous-entend que j’ai quelque chose à voir avec la tenue de Dylan. Elle demande ce qui se passe. Un des policiers lui résume la situation. J’entends qu’on rit sur la terrasse. Les deux gars mangent un Macdo. Ils ont tous les deux pris des frites et des Royale Deluxe. Je repense à la fille qui m’a rejoint pendant la nuit. Un des policiers reçoit un appel. Il part dans la pièce d’à côté pour répondre. L’appel dure entre dix et quinze minutes. Quand il revient, il prend un ton beaucoup plus dramatique. Apparemment, la fille aurait mes empreintes partout sur son corps.


Finalement je pars de chez Dylan. Trente minutes plus tard, je reçois un message d’elle qui me demande où je suis. Elle me dit qu’elle ne m’a pas vu. Je lui écris : je savais pas où t’étais alors je suis parti. Elle me répond : c’est dommage je voulais te parler. Je suis déjà à la moitié du chemin vers chez moi. Je ne sais pas quoi faire. Je regarde autour de moi. Il y a un parking avec des voitures garées. Dans une des voitures je crois voir un couple en train de s’embrasser. Je reste à les fixer peut-être deux minutes, jusqu’à ce que le mec remarque que je les regarde et sorte de sa voiture. Il me demande ce que je veux. Dans la voiture, la fille a l’air d’avoir peur. Je ne sais pas si elle a peur de moi ou de lui. Je lui dis que je savais pas qu’ils étaient dans la voiture, que je croyais que c’était des ombres. Il me dit de me casser de là et pousse mon épaule. Je crois qu’il veut se battre. Il a envie de me défoncer. Je ne sais pas si je veux le laisser faire. Je regarde la fille dans la voiture. Il me dit d’arrêter de regarder sa copine. J’ai du mal à m’arrêter de la regarder, je ne sais pas pourquoi. D’une certaine manière, je crois qu’elle me plait, et que je suis jaloux que ce soit lui dans cette voiture avec elle. Je ne sais pas ce que la fille se dit de moi. Si elle a hâte que son copain me tabasse ou quoi. Quelque part j’entends une chanson de Yo La Tengo que j’aime bien. Je crois que c’est elle qui l’écoute dans la voiture. La portière conducteur est toujours ouverte. J’évite le type et je m’approche de la voiture. Il me laisse faire. Je demande à la fille si elle aime bien ce groupe. Sans me quitter des yeux, elle me dit que c’est la radio. Maintenant je comprends, elle a peur de moi. Et quand je me retourne, je comprends que son copain aussi. Il n’a pas bougé. Je les quitte au ralenti, comme si je m’éloignais d’une scène de crime.

J’ai enfin regardé Gerry, que j’avais sur mon ordi depuis vraiment très longtemps. C’est un beau film, dans le désert, il ne s’y dit presque rien. Par moments on dirait du Bela Tarr. Il y a une scène où Matt Damon et Casey Affleck marchent au fond d’un canyon, avec des bourrasques dans leur dos qui font rouler les boules de poussière. À la fin, Matt Damon tue Casey Affleck parce que c’est un poids. C’est physique et symbolique en même temps, parce qu’on croit qu’il l’embrasse mais en fait il l’étrangle. Je pense que c’est fait exprès. Matt Damon s’en sort et les dernières scènes sont dans un 4x4. C’est tiré d’une histoire vraie.


Un Dyson, ça sauve la vie. Avant, quand les Dyson existaient pas, les gens étaient ensevelis sous la poussière et ils ne pouvaient plus respirer. Des millions de gens par an mouraient de l’accumulation de poussière. C’était un des plus grands fléaux, avec la peste et les sauterelles. On pouvait même plus écouter de musique à cause des oreilles bouchées par la poussière. Des millions de troubadours chomeurs. Certains nageaient dans la poussière, aux JO l’épreuve 100m nage libre poussière. Gros délire. C’était une autre époque clairement. Après le tableau était pas non plus complètement noir. Ils avaient beaucoup de poussière, mais ils avaient aussi des joutes. Les joutes compensaient largement la poussière. Pour être honnête au bout d’un moment on y faisait même plus attention tellement on était divertis par les deux mecs en train de se foutre dessus avec des lances et des épées. En plus on était assis dans des gradins. Y avait de la tize. L’ambiance était bonne. Pour en revenir à Dyson. À un moment, Monseigneur Dyson a dit : mais merde à la fin, ça fait chier toute cette poussière ! Saine colère. Tout de suite il a inventé le Dyson cyclone V10 et ça a sauvé la vie de la France entière. Prix Nobel de la Paix pour ça. Mieux que le bacille de Yersin. Dans ton cul Deville. J’ai signé au Seuil pour une bio de Monseigneur Dyson. Le triple avantage d’un Dyson c’est : aspiration au top, peu encombrant, silencieux. Hue, mon Dyson ! disaient les chevaliers de l’époque (pour blaguer). Aujourd’hui les gens se rendent plus compte. Il y a des pubs sur TF1, c’est une entreprise florissante. Je pense que Nikos Aliagas a un Dyson, c’est tout à fait le genre de client qui zappe sur TF1, voit la pub pour le Dyson cyclone v10, et trace le lendemain à l’ouverture de Boulanger pour l’acheter. Il range le carton dans son SUV et rentre chez lui pour le tester. Mais il a une femme de ménage qui fait déjà la poussière. Dépression de 4 jours. Merde alors, à quoi rime ma vie… se demande Nikos Aliagas. Sur le plateau de The Voice, il a le regard dans le vide. Garou sent que le présentateur est pas serein, mais il reste pro à l’antenne. Après le prime, Nikos rentre chez lui et regarde une vidéo sur Youtube à propos des joutes. Sa villa est niquel. Pas une trace de poussière. Quand même… c’était le bon temps… songe-t-il en regardant un let’s play de Super Meat Boy.


Je me verrais bien en chevalier avec épée et armure en métal dans un monde en 3 dimensions. Je serais animé à l’arrache genre marche en claudiquant, à deux à l’heure, et les ennemis seraient abusés : goules volantes, mages avec sorts à distance, plein d’autres trucs du style. Je marcherais dans des plaines texturées. Parfois j’aurais des quêtes dans des chateaux forts ou des catacombes, des quêtes secondaires à la con pour récupérer une amulette merdique qui donne +2 en endurance. L’aventure serait super déprimante avec une musique ambiant mélancolique surtout dans les sections de plateforme. En terme de gameplay ça serait 90% plateforme/énigme et 10% combats ; un peu de RPG pour le côté immersif et personnalisable. La figure du chevalier qui erre, même plus de but, rattaché à on sait pas quel royaume, comme ça, dans le néant des plaines. L’image est atroce. On image au Moyen Age, les types galoper sur des chevaux qui buguent. On voit pas sa tête sous son heaume. Il rencontre personne, juste les monstres à défoncer. La déprime totale. On le voit tout le temps de dos, ça rajoute à la distance. Le jeu s’appellerait Knight’s Quest. Faudrait pas tomber dans la métaphore de Don Quichotte sinon y aurait toujours un fils de pute pour dire : ah oui, comme dans Don Quichotte, et ça foutrait une haine absolue. Peut-être un mode multijoueur, mais dans lequel on trouverait jamais les autres chevaliers.

Les deux oeuvres littéraires pour lesquelles j’éprouve le plus de passion et d’intérêt en ce moment sont JoJo’s Bizarre Adventure et One Piece. Le reste c’est zzzZZZzzz. Depuis longtemps dans le roman je n’ai pas ressenti une passion semblable à la lecture de JoJo’s Bizarre Adventure.


Rivage au rapport est un livre à propos de l’inspecteur Rivage et de son assistant Copperfield. Malgré plusieurs tentatives, c’est un livre qui ne peut pas s’écrire, car le crime sur lequel enquêtent les deux professionnels ne connaît aucune résolution.

Dans l’ensemble, c’est un livre sur l’affrontement du Bien contre le Mal. L’enquête initiale part d’un fait divers banal et débouche sur des considérations métaphysiques bien plus profondes. C’est ce qui différencie ce livre de n’importe quel autre polar habituel.

Dans la première partie, l’inspecteur Rivage découvre un corps, qui entraîne son lot de suspicions et de travail. Son assistant Copperfield a la particulité de noter des détails dans son carnet. Certains de ces détails sont connus du lecteur, d’autres non. Il y écrit par exemple les titres qu’il écoute, mais le lecteur ne peut pas les lire. Il aime bien le musicien Dirty Beaches, ce qui dénote d’une personnalité mélancolique.

L’idée du livre est également de mêler d’autres trames narratives secondaires à l’enquête principale. Toutes les trames ont pour but de se rejoindre durant une apothéose finale. Certaines trames sont des impasses, et elles font le sel du livre, qui propose de fausses pistes.

L’apothéose inclut des robots qui se battent dans l’espace. Cela prend totalement à contre-pied le genre initial du livre. C’est une fin inattendue qui a pour but de surprendre le lecteur et de déjouer les logiques narratives habituelles. Les robots sont en majeure partie inspirés du manga Evangelion.

Une partie beaucoup plus macabre, menée par deux personnages anodins, se déroule sous terre. Elle est très largement inspirée du jeu vidéo SAD SATAN. Chaque paragraphe est une description d’un passage de SAD SATAN. L’ambiance, en plus d’être macabre, est donc étrange.

À la fin, le Bien l’emporte, mais l’inspecteur Rivage est très profondément affecté par son aventure, et disparaît de la circulation. C’est donc une fin douce-amère. L’idée est que le lecteur se soit suffisamment attaché à l’inspecteur Rivage pour ressentir cette émotion.

Copperfield est sans doute un personnage plus attachant que Rivage.

La question qui se pose très vite est : pourquoi n’y a-t-il pas de coupable ? Ou plutôt : pourquoi le coupable est remplacé par l’archétype du Mal, qui n’a pas réellement de visage.

Dans Rivage au rapport, l’archétype du Mal porte le nom de Roi, mais le lecteur ne le voit jamais. Rivage voit le Roi à plusieurs reprises, mais le lecteur jamais. Évidemment, que l’inspecteur Rivage soit incapable de décrire le Roi fait partie du jeu de mise en tension, car l’inconnu a une force envoûtante supérieure.

Qui a commis les meurtres devient vite périphérique car la problématique se place à un niveau autre. Après le premier meurtre, il y en a d’autres, plus ou moins identiques. On pourrait parler de tuerie en série, même si le livre est plus complexe que cela.


La crainte vient de la perte. Par exemple, on sait tous qu’un jour, bientôt, nous ne pourrons plus utiliser de voitures. Logiquement, au rythme où vont les choses, les voitures ne pourront plus exister. Nous n’aurons plus les moyens de les faire exister. Le carburant n’existera plus. Nous pourrons trouver d’autres carburants, mais eux aussi finiront par ne plus exister. Nous savons, nous voyons, que dans notre monde, de la façon dont il est conçu, la voiture n’est pas un objet, un outil, qui durera. La voiture n’existe telle qu’elle est que depuis quoi, 200 ans, quelque chose comme ça. C’est sans doute finalement la durée de vie de l’objet que nous appelons voiture : 250, 280 ans. Les calèches reviendront sans doute, tirées par des chevaux peut-être. Mais les voitures vont disparaître. Il faut s’y faire, il faut l’accepter. D’autres choses disparaîtront. C’est une tristesse, bien sûr, comme tout ce qui disparaît. Nous voyons qu’elle disparaît et nous construisons les modèles les plus absurdement énergivores pour aller jusqu’au bout de l’outil voiture le plus vite possible, avant qu’il disparaisse complètement. Mercedes, BMW et Tesla construisent sans doute à l’heure actuelle les dernières voitures qui existeront jamais. C’est historique, quand on y pense. l’objet voiture aura abouti à ça. Dans la rue je regarde les voitures et je me dis : bientôt à la place il y aura d’autres véhicules, d’autres objets, qui seront mieux conçus et mieux adaptés au monde dans lequel nous vivons. Et c’est une bonne chose. La frustration vient qu’on a toujours besoin, à quelques moments précis, d’une voiture, en attendant que ces autres objets arrivent. On doit en acheter, d’occasion, on doit en louer, en sachant que c’est la fin de l’objet. Comme on achèterait une lampe à huile juste avant l’électricité. En sachant que c’est idiot mais qu’on ne peut pas faire autrement.

Et quand on y pense, la voiture, ce n’est vraiment pas grand chose, ce n’est pas très important. D’autres choses vont disparaître aussi, bien plus importantes. On ne pourra rien inventer à la placer pour les remplacer. La fin n’arrive jamais avec des lettrines blanches sur fond noir dans le ciel. Un jour on se rend compte que c’est fini, on se dit merde, et on reste con un instant.


J’arrive très tard à la fête de Dylan. La plupart des invités sont déjà couchés. Dans le salon, quelqu’un m’offre une bière chaude. Ils sont quatre en train de jouer à un jeu de société auquel je n’ai pas envie de jouer. Je vais voir à l’étage si je retrouve des gens du lycée. La plupart des portes sont fermées. Ce n’est pas la première fois que je vais chez Dylan. Elle organise souvent des fêtes, et j’aime passer du temps avec elle. On ne se dit jamais grand chose. J’ouvre une première porte, qui donne dans la chambre de ses parents. Il n’y a personne. Le lit est en partie défait. Sa chambre à elle est à l’autre bout du couloir. J’ouvre et je vois qu’une fille dort déjà sur son lit. Elle n’a pas fermé les volets et la veilleuse est allumée. Je redescends dans le jardin et m’assois sur la terrasse. Je regarde la fenêtre qui donne dans la chambre de Dylan. Je repense à la fille qui dort et à la veilleuse allumée. Je sais que c’est une image que j’ai vue en rêve. Une des quatre personnes qui jouaient tout à l’heure me rejoint et me demande si je sais à qui appartient la maison. Je lui parle rapidement de Dylan mais on dirait qu’il ne la connait pas. Il ne reste pas très longtemps assis à côté de moi. Il s’éloigne au fond du jardin. Je finis de boire la bière chaude. J’entends de la musique et suppose qu’elle doit venir de la cave. Les trois autres personnes de tout à l’heure me rejoignent paniquées et me demandent si j’ai vu leur ami. Je leur montre le fond du jardin, dans le noir. Je ne sais pas pourquoi ils sont aussi stressés. Ils partent en courant au fond du jardin. Je regarde à l’étage et je vois qu’on a éteint la veilleuse dans la chambre de Dylan. J’ai envie de savoir qui écoute de la musique dans la cave. Le volume est à fond mais il n’y a plus personne. J’éteins la chaîne hi-fi. Je me rends compte alors à quel point la maison semble vide.

Je retourne dans la cuisine où je me réchauffe une part de pizza. Je la mange devant une rediffusion de New York Unité Spéciale. Les autres ne sont toujours pas revenus du fond du jardin. Ils ont peut-être trouvé un passage pour retourner en ville. Je n’essaie plus vraiment de savoir où sont les derniers invités. Je m’aperçois que la PS4 est encore allumée. Je change le canal de la télé et reprend la partie de GTA5 là où on l’avait arrêtée. Je trouve une Ferrari et je roule un peu au hasard dans la ville. J’ai l’impression que quelqu’un passe dans le couloir derrière moi et je me retourne. Il n’y a personne mais je reste à fixer le couloir vide pendant dix ou quinze secondes. Quand je me retourne vers la télé, je vois que mon personnage est mort. J’entends qu’on rit à l’étage. La chambre des parents de Dylan est entrouverte et deux filles sont allongées sur le lit. L’une porte un slip rouge et un soutien-gorge noir. Je vais dans la chambre de Dylan et je m’aperçois que la fille n’est plus allongée sur son lit. Je m’approche de la fenêtre. Je vois les autres revenir en courant du fond du jardin vers la maison. Quelqu’un a rallumé la musique dans la cave. Je ne comprends pas où est passée Dylan.

« le jour se lève et nous nous effondrons
nous sculpterons mon coeur demain dans cette ruine. » – Pierre Vinclair, Le Cours des choses.


J’ai acheté un nouvel ordinateur et j’ai changé mon fond d’écran. J’ai choisi un modèle bas-de-gamme pour ne pas qu’on me le vole. Je me méfie toujours des voleurs. Il n’y a rien de particulier sur mon ordinateur. J’ai sauvegardé tout ce qui m’était le plus cher sur un serveur local, dans mon bureau. J’ai enregistré un document texte que je n’ai encore jamais fait lire à personne. Je l’augmente un peu chaque jour quand j’ai le temps. Je ne sais pas si j’aimerais que quelqu’un d’autre le lise, que je le connaisse ou non. J’y ai écrit des choses sur moi qu’on ne devrait sans doute pas savoir. Ce n’est pas vraiment un journal intime. Je ne peux pas en dire plus pour le moment.

J’ai fait un rêve dans lequel je visitais le manoir d’Alone in the Dark 2. J’ai l’intuition qu’il existe pour de vrai. J’ai raconté mon rêve en détail dans mon document secret. Le lieu où il se déroule n’est qu’une infime partie de sa signification. J’irai sans doute chercher tout à l’heure si d’autres types savent où se trouve le manoir. J’aimerais conserver mon lait dans des bidons en plastique comme dans les séries américaines. Je n’ai plus de céréales. Je reste un peu à regarder la télé, mais il n’y a aucun dessin-animé intéressant. Il est presque midi et mes préférés passent vers neuf heures. Yu-Gi-Oh, Pokémon, même si j’aime moins la dernière saison. Je regarde dehors. Je finis mon verre de jus d’orange. Je m’assois à la table de la salle à manger. Je lis un magazine qu’on a oublié là et qui parle de la hausse phénoménale des températures. Les ventilateurs sont allumés en permanence. Je repose mon verre dans l’évier pour le laver plus tard. Il faudrait que je vide le lave-vaisselle. Je vais sur Reddit voir si on y parle du manoir d’Alone in the Dark. Apparemment, je ne suis pas le seul à le voir en rêve. al3x dit qu’il a trouvé sa réplique originale pas loin de chez lui, mais il préfère ne pas dire où pour ne pas attirer les curieux et les fous. Je lui écris par message privé pour lui demander s’il est vraiment comme en rêve. J’aimerais le visiter pour trouver des réponses à mes questions. Si al3x a confiance en moi il m’invitera chez lui pour qu’on aille le visiter ensemble.

Je rejoins Dylan en ville. Elle me dit qu’elle a quitté son copain. Je n’ai aucune idée de qui elle parle. Elle a gardé ses lunettes de soleil et boit un genre de Coca. C’est sans doute du Pepsi. Je commande un Ice-Tea et la serveuse me le sert avec une paille et un touilleur en forme de palmier. Je regarde dans le bar s’il y a d’autres personnes que je connais. Je parle à Dylan de mon rêve. Je lui dis aussi que quelqu’un sur Reddit sait où se trouve le manoir. Elle me dit de faire attention, mais je ne comprends pas bien pourquoi. Je préfère ne pas lui en dire plus. Elle me demande si j’ai vu l’épisode de Pokémon qui est passé ce matin. Je lui dis que je me suis réveillé trop tard. Elle finit son verre et va payer au comptoir. Je me rends compte qu’elle connait la serveuse et qu’elles rigolent ensemble. Je n’entends pas ce qu’elles disent. En revenant, elle me donne rendez-vous ce soir chez elle, elle organise une fête. Je lui dis ok, mais je ne sais pas si j’irai.


Je comprends pourquoi tout le monde veut un tshirt Nike. Ils ont une aura particulière. Dès qu’on enfile un tshirt Nike, on marche dans la rue la tête haute. Un tshirt quelconque ne procure pas ce sentiment puissant et unique. Nike, c’est l’ultime possession de ses moyens. C’est l’achèvement de soi en tant qu’être humain. Le tshirt Nike vient unir notre être profond à notre apparence corporelle. Il lie l’au-delà au prosaïque. Le tshirt Nike donne le sentiment d’une infinité, et du monde comme un libre potentiel à exploiter. De couleur noire, il offre le seul camouflage qui irradie. Vous passez inaperçu grâce à votre singularité évidente. Vous appartenez à un ensemble d’identités propres, toutes sublimées par Nike, et notamment son tshirt. Les chaussures produisent un effet semblable, ou la casquette. La tentation est grande d’acheter une casquette Nike. Ce pouvoir. Cette classe. Un jogging Nike rouge. Avec de belles Air Max Plus TN oranges et noires. Oublier Sergio Tacchini.

J’ai reçu Closer, le dernier livre de Copper traduit en français que je n’avais pas. Je finis par son premier livre. C’est une étrange trajectoire quand on y pense. Quand soi-même on écrit des livres, on se dit que très logiquement les gens nous liront à partir du premier livre. Mais la plupart du temps, ça n’est absolument pas le cas. La plupart du temps, les gens ne vous lisent pas. Ensuite, ils vous lisent n’importe comment, parce qu’ils s’en foutent royalement, et ils ont parfaitement raison. Les gens commenceront sans doute à me lire à partir d’un livre que j’écrirai et qui sera publié dans 15 ans, et que je n’ai même pas encore imaginé. C’est ce qui est incroyable. D’autant plus incroyable quand on sait que ce livre n’existera jamais. Carrière toute tracée.

J’imagine… acheter les droits… d’un livre québécois… déjà écrit en français… pour ma maison d’édition… en France… changer la couverture… oui… le vendre ici… sans rien changer… si… changer la couverture… faire des bénéfices… sans aucun travail éditorial… si… la couverture… une couverture originale… l’auteur touchera… 10%… grand max… oui… je suis… un défricheur… oui… un excellent… éditeur…

J’ai fait la couverture d’un magazine littéraire. J’ai mis cette couverture en photo de profil Facebook. Je suis reconnu par mes pairs (mes abonnés).

LES SURDOUÉS DU BAC (intelligence hors-norme).

Chanter la Marseillaise à l’envers invoque Ronald McDonald.

Pour une littérature Mégazord.

« Ce week-end la cousine de mon amie M. est morte. Elle était brûlée au troisième degré depuis un accident l’année dernière. Jojo, le type qui donnait un coup de main à ma mère pour le jardinage, s’est tiré une balle dans la tête. Terrier est en cure de repos à la campagne après une tentative de suicide. Tout va bien. » – Guillaume Dustan, Dans ma chambre.


Sur la plage, on retrouve une barque avec un corps dedans. Personne ne reconnait le corps. Les policiers n’ont aucune piste. Il n’y a pas de policiers. Le corps est habillé mais n’a pas de chaussures. On retrouve le propriétaire de la barque. Il ne reconnait pas le corps. Il reconnait sa barque. On retrouve les chaussures trois semaines plus tard. Elles n’ont plus de lacets. On ne retrouve pas les lacets. On retrouve le propriétaire de la barque pendu deux semaines plus tard. On retrouve une lettre d’adieu sur la table de son salon. On ne retrouve pas la femme à qui elle est adressée. La lettre reste vague dans ses intentions et dans son propos. On ne retrouve pas le sens exact de cette lettre. Elle ne peut sans doute être comprise que par la femme introuvable. On abandonne l’idée de la retrouver. On ne retrouve plus la barque. On ne retrouve pas les voleurs. On retrouve la barque deux mois plus tard à 150 kilomètres de son endroit d’origine. Le nouveau propriétaire dit qu’il l’a achetée d’occasion. Il ne savait pas qu’une enquête était en cours. L’enquête est terminée. Il n’y a jamais eu d’enquête. Le nouveau propriétaire ne retrouve pas le nom de celui à qui il l’a achetée. Il ne retrouve pas non plus le journal dans lequel avait paru l’annonce. On découvre une tache de sang sur une des chaussures. On ne retrouve pas à qui est le sang. On retrouve le magasin où elles ont été vendues. La vendeuse ne sait plus à qui elle les a vendues. Elle ne retrouve plus les factures dans son ordinateur. Toutes les sauvegardes de l’ordinateur ont été effacées. La vendeuse ne sait pas ce qui s’est passé. Un jeune homme dit avoir vu une voiture se garer au bord de la falaise trois jours avant la découverte de la barque. Il ne retrouve plus la marque de la voiture. On cherche des indices au bord de la falaise. On retrouve du sang dans l’herbe. On retrouve les lacets qui manquaient aux chaussures. On retrouve du sang sur les lacets. Deux semaines plus tard, on apprend que le sang ne correspond pas à celui de la victime. On retrouve une voiture accidentée dans un fossé à 30 kilomètres de là. La voiture était une voiture volée. On ne retrouve pas son conducteur. Quand les ambulanciers sont arrivés, la voiture était vide. Le capot était enfoncé et fumait. D’après les experts, une autre voiture était concernée dans l’accident. On retrouve la peinture de l’autre voiture sur la carrosserie de celle dans le fossé. La peinture de l’autre voiture est rouge. On ne retrouve pas l’autre voiture. Le jeune homme se souvient que la voiture au bord de la falaise était rouge. Dans la voiture accidentée, on retrouve une photo du corps de la barque. La photo a été prise alors que le corps était déjà mort. Le corps n’est pas dans la barque, il est sur la plage. Le corps n’a jamais été déposé sur la plage depuis qu’on l’a découvert. La photo date d’avant la découverte du corps et d’avant sa présence dans la barque. En ligne, une personne dit avoir tué la personne retrouvée dans la barque. Il écrit sous pseudonyme et on ne retrouve pas sa véritable identité. Sa photo de profil est une photo du corps. Le corps y est encore vivant et il s’agit d’une femme. Cette photo de profil prouve que le propriétaire du compte connaissait la victime. On a retrouvé le sexe du corps. On ne retrouve aucun proche. On ne retrouve pas l’IP d’origine du créateur du compte. On ne retrouve pas d’où il a posté ses statuts. Dans le coffre de la voiture accidentée, on retrouve une pelle, deux sacs de terre et une paire de bottes. Sous la semelle des bottes, on retrouve du sang séché. On retrouve également du sang dans les sacs de terre. En plus du sang, on découvre un doigt. Au doigt, il y a une bague. On ne retrouve pas le nom de la pierre précieuse accrochée dessus. On ne retrouve pas à qui appartient le doigt. Dix jours plus tard, on retrouve la voiture rouge dans une casse. Les sièges et les jantes ont été enlevés. Elle a été transformée en cube. Sans le rouge, on ne l’aurait pas reconnue. Le gérant de la casse ne se souvient pas du nom du client. Il se souvient ne pas avoir vu son visage. Le client s’est contenté de récupérer quelques billets et est aussitôt parti. Il semblait impatient que sa voiture soit détruite. Il avait une sorte d’accent, mais le gérant ne retrouve plus lequel. Il a acheté un paquet de bonbons et un magazine de jouets pour enfants. Dans son ordinateur, le gérant retrouve le titre du magazine et le type de bonbons. Trois jours plus tard, on retrouve le paquet de bonbons à côté d’un corps d’enfant. Sur le paquet, on retrouve des empreintes qui ne sont pas exploitables. Le paquet n’a pas été ouvert. On retrouve très vite les parents de l’enfant. Ils disent n’avoir aucun ennemi. Deux jours plus tard, ils se rendent compte que la baie-vitrée de leur salon est cassée et qu’elle ne ferme plus. Les jours qui suivent, ils retrouvent des objets à des endroits où ils ne les ont pas posés. On leur demande pourquoi ils n’ont plus de voiture. Le père bredouille une explication étrange. La mère dit qu’ils ont eu un accident. On fait le lien avec la voiture accidentée sur le bord de la nationale. On amène les parents au commissariat. On les interroge sur leur voiture et sur la voiture rouge avec laquelle ils ont eu l’accident. Le père dit qu’ils n’ont croisé aucune voiture et qu’il a simplement perdu le contrôle de son véhicule. On leur demande des explications sur la pelle, le sac de terre et les bottes. Les parents ne savent pas de quoi on leur parle. On leur montre les objets mais ils ne les reconnaissent pas. Ils disent qu’on les a piégés. Ils ne savent pas par qui. On place le père en garde à vue. La mère rentre chez eux. Une semaine plus tard, on la retrouve pendue dans la chambre de son enfant. On ne retrouve pas de lettres d’adieu. On retrouve plusieurs éléments qui ne coïncident pas avec la thèse du suicide. On redemande au père s’ils ont des ennemis. Le père se mure dans le silence. Six mois plus tard, l’homme qui avait racheté la barque meurt en mer et la barque disparaît avec lui. On ne retrouve pas son corps ni la barque. Pendant trois ans, l’enquête reste en suspens. Il n’y a plus d’enquête. La plupart des témoins et suspects potentiels disparaissent. Une expédition scientifique arrive sur Mars. Dans un désert de poussière, elle découvre un corps. Il ressemble trait pour trait à celui découvert dans la barque. Quand les scientifiques veulent ramener le corps, il se désintègre entre leurs doigts. Ils ne retrouvent plus aucune trace du corps. Les photos qu’ils ont prises servent de preuves. On se demande comment le même corps peut se retrouver sur deux planètes différentes. Des experts avancent des théories incompréhensibles. On fait comme si ce deuxième corps n’avait jamais existé. En prison, le père parle enfin. Il dit qu’il a tué son propre enfant et poussé sa femme au suicide. Aucune piste ne coïncide avec sa déclaration. On suppose qu’il couvre le véritable meurtrier. On l’interroge à nouveau sur l’accident de voiture. Il parle du corps découvert sur Mars.


Le truc vraiment à la mode niveau littérature c’est le roman sur la vie à 80 km de Paris dans un bled relié par un intercité où on trouve une déchetterie (renommée décharge pour l’occasion) et des zones inutiles à côté des quais de gare, protégées par des barrières vertes en métal (vous voyez). Si une fois on a fumé un bédo à 3h du mat c’est bonus on peut se la jouer Michaux. Ce genre de truc marche très bien, écrit par un type de 25 ans doublement, avec un peu de cul on a même un prix, 50 000 exemplaires et donc du \(\) en masse. Chacun tente sa chance, avec recette semblable : des chiens, des carcasses de bagnole, un mec qui glande sur son canapé et qui s’appelle Doumi, des familles à la Resident Evil, un temps de merde, et on peut insérer des mots comme “putain” ou “ce gros con de” pour ajouter à l’effet de réel (primordial). Après sur les plateaux on dit : j’ai bien connu ces terrains à l’abandon, c’est là d’où je viens (silence pesant). François Busnel est à deux doigts de chialer. Heureusement il peut se retourner vers le moine milliardaire Matthieu Ricard qui lui dit (par télépathie) : ça va aller mon pote. Devant sa télé nous on peut pas s’empêcher de penser : comme ce gars a souffert, alors qu’il est classe mannequin. C’est le fromage râpé Président qui veut se faire passer pour du Marque Repère. Mon conseil : plutôt que viser le chef d’oeuvre, reprendre deux trois chipos et sortir la table de ping-pong. On gagne moins de thunes mais la victoire est honnête.

Si ça vous intéresse, les photographies de Matthieu Ricard le moine milliardaire sont dispos sur Photoby et YellowKorner. Par exemple Soleil levant avec drapeaux à prières Tibet est à 89€.

100% de chance que François Busnel a Soleil levant avec drapeaux à prières Tibet dans son salon. Il doit même trouver ça beau, et franchement pas si cher (lui l’a eu gratos).

Matthieu Ricard le moine milliardaire pourrait être le titre d’un shōnen de 12 tomes.


J’ai vu qu’on pouvait émuler Doom sur un Thermomix.

Vous avez remarqué : je ne cite presque plus de livres.

Je ne pensais pas en venant m’installer ici qu’il y aurait autant de crimes. Dans une ville de bord de mer de 5000 habitants, on s’attend à un minimum de tranquilité. Depuis mon appartement, j’ai vue directe sur l’océan. C’est calme mais je paie cher chaque mois. Je joue toutes les nuits jusque 4 heure du matin. Après 2 heure il n’y a plus personne sur TeamSpeak et j’enlève mon casque pour écouter le bruit des vagues. Je ne dirais pas que ça me détend mais plutôt que ça me hante. Je marche dans des maps sans joueurs et je regarde les décors inaccessibles. Ils ont quelque chose d’étrange et de perturbant parce qu’ils sont là mais qu’on ne peut pas les atteindre. Quand on tire sur les autres joueurs on se détourne de ce qui est hors de la map. Mais quand il n’y a plus personne à tuer, je me demande pourquoi on ne peut pas sortir d’ici. Ma réflexion s’arrête là. J’ai loué une Mercedes sur place. Je m’en sers quand je veux quitter la ville. Les ados qui vivent dans la résidence tournent autour quand ils pensent que je dors. Ils sont avec des filles et je leur dirais bien de l’essayer. Ils pourraient coucher ensemble dedans. Je ne sais pas s’ils ont le permis. On peut longer la corniche jusqu’au port qui ressemble plutôt à une zone industrielle. Il n’y a plus de bateaux. Il reste quelques camions frigorifiques qui transportent sans doute de la marchandise de contrebande. Personne ne se promène par là. Quand j’y vais en voiture je n’en sors jamais. Je reste à les observer, assis au volant. Je laisse le moteur tourner. Ils parlent sans doute de moi comme de l’étranger, car je suis le seul à être venu m’installer ici à cette saison. Je sais que la plupart des habitants m’ont repéré. Cette surveillance me gênait beaucoup au début mais maintenant j’essaie de ne plus y faire attention. L’un d’entre eux a sonné un soir mais je n’ai pas ouvert ma porte. Je ne sais pas ce qu’il me voulait. Je suis bien meilleur depuis que je m’entraîne ici. Je n’ai pas de rideaux et on peut sans doute voir mon écran depuis la rue. Depuis que j’ai acheté une Razer je vise beaucoup mieux. Je n’aime pas être déconcentré et je n’aime pas qu’on me vole mes frags. Je préfère commander en ligne que manger dehors. Je n’aime pas tellement croiser les gens. Les vagues me hantent. Elles m’aident à viser et à améliorer mon score. Je vais sans doute me qualifier aux championnants du monde. Il y a 3 millions de dollars pour le gagnant. Je changerais de vie. Pendant un moment je ne vais plus sortir. Je vais rester ici pour jouer et m’améliorer. Les conditions sont idéales. Jamais je n’ai connu de telles sensations. Je ne sais pas si c’est la mer, la solitude ou les crimes. La matériel est aussi important que l’environnement. C’est à ce prix qu’on devient professionnel.


Dans Mario Kart, prendre un raccourci c’est toujours prendre un risque. C’est ce qu’on appelle l’aventure. Les premiers navigateurs avaient l’âme de celui qui est 1er et tente quand même le raccourci cascade sur Plage Koopa. C’est s’en remettre au sort du saut boosté parfait. Au fond, même avec une maîtrise parfaite, personne ne peut le maîtriser totalement. Placer correctement le Champignon Turbo pour atteindre la cavité rocheuse tient de l’exploi autant que de la folie. Christophe Colomb aurait fait un WR sur Plage Koopa, mais au prix de quels sacrifices. C’est le travail d’une vie. À chaque fois que j’emprunte ce passage secret, c’est comme si je découvrais les États-Unis avant Christophe Colomb. Il y a une sensation de fraîcheur et de satisfaction qui dépasse la simple course, le simple exploit. Le mieux c’est quand on est 2ème et qu’on passe 1er grâce au raccourci. Non en fait vraiment le mieux du mieux c’est quand on atterrit sur la tête du 1er et qu’on lui passe devant après l’avoir humilié grâce à cet atterissage. En bonus on peut placer une petite Banane qu’il se prendra directement après avoir retrouvé ses esprits. Christophe Colomb a placé une Banane à tous les autres navigateurs. Une sorte de banane waterproof. Je me suis toujours demandé pourquoi Luigi avait un aspirateur comme arme dans Luigi’s Mansion. Luigi’s Mansion c’est comme le Projet Blair Witch mais avec un aspirateur, Luigi et des fantômes du genre Casper le gentil fantôme. Luigi aspire les fantômes et atomise Satan. Si Dante avait eu un aspirateur il aurait pu s’épargner 18 étages de délire chrétien et directement accéder à Béatrice par le biais d’une aspiration en règle des enfers, du purgatoire et du paradis, Dieu inclus. Sa prose italienne unique aurait été directement inspirée par la sucion de l’aspirateur. Si Luigi écrivait un truc à la hauteur de La Divine Comédie ça n’aurait rien à voir justement grâce à l’aspirateur. Luigi’s Divine Comedy aurait fait un bide commercial évident. On ne pourra plus jamais écrire un truc comme La Divine Comédie. C’est pour ça qu’on joue à Luigi’s Mansion sans se poser de questions. Dans Super Mario Sunshine Mario a le même genre d’aspirateur mais qui crache de l’eau. Il y avait vraiment un truc au début des années 2000 pour les aspirateurs, un genre d’obsession. Depuis Dyson fait un chiffre d’affaire de malade. La relance de l’électroménager par Nintendo c’est un sujet dont personne ne veut parler. J’achèterais bien un Dyson pour chasser les démons de mon appartement. Depuis que je les ai invoqués c’est un vrai bordel par ici.

cette année
à bordeaux
un colloque de littérature
m’est consacré

tous ces gens
qui m’admirent
vraiment
quel plaisir


Si j’avais la fibre je pourrais aller beaucoup plus vite vers le futur. Une meilleure connexion internet c’est une meilleure connaissance des autres. En 56k les seins des stars du porno apparaissent au ralenti. Ça donne un aperçu mais c’est insatisfaisant. Si on vivait en 56k on ne verrait jamais que la moitié de nos parents. On serait pas plus malheureux mais on n’aurait pas de jambes, ou plutôt les uns les autres on verrait jamais nos jambes, que nos bustes. La connaissance par les bustes. Niquer des bustes. Des non-bites dans des bustes. Comme si on niquait les statues antiques du Louvre. Le 56k c’est la préhistoire et pourtant c’est que 15 ans dans le passé. 15 ans c’est rien. Moi il y a 15 ans j’avais 13 ans et j’imprimais déjà des bustes de stars du porno pour les cacher dans des BDs Astérix. Affronter le 56k c’est faire preuve d’une patience de sage. La préhistoire c’est taper ses ennemis avec des os et télécharger un mp3 de 6,2Mo en 40 minutes. J’adore la préhistoire et les dinosaures. Je collectionais des cartes à leur effigie quand j’étais plus jeune. J’avais aussi 3 reconstitutions fluorescentes, dont un stégosaure et un tricératops. Maintenant tout doit être jeté à la poubelle. C’est dramatique d’imaginer la préhistoire à la poubelle. Jeter son passé c’est la pire des attitudes possibles. Sans doute que mon tricératops brille encore dans une décharge. Le plastique met des milliards d’années à se décomposer. Mon tricératops aura survécu à la double extinction de son entité réelle et de son entité plastique. Si j’avais des figurines à mon effigie je pourrais briller pour toujours dans une décharge. C’est pour ça qu’il faut à tout prix viser la gloire internationale, pour les produits dérivés. Une reconstitution 1:1 de mon enveloppe corporelle, donc 0,1% de l’intérêt de ma personne, mais pour toujours. 0,1% de moi pour toujours. Quand la Terre explosera mon double de plastique flottera dans l’espace et atteindra MARS 3000, planète composée uniquement de sable fin et de parasols Coca-Cola. Il mènera une meilleure vie que la mienne. J’aimerais tellement être une star. Quand je les regarde sur Youtube, je les envie. Quelles vies de rêve ils mènent. Voyager dans le monde entier, boire de l’Ice-Tea ou du Sprite gratos. Si on me demandait pour quoi je suis né, je dirais pour ça : tous les sodas gratos. Sur MARS 3000 il y aura aussi des glacières remplies de COCA-COLA. La planète entière serait sponsorisée par Coca-Cola, mais la marque ne serait plus vue comme une terrible multinationale capitaliste. Simplement comme une marque décontractée et désaltérante. Il n’y aurait que moi sur MARS 3000, et peut-être quelqu’un d’autre que j’aime bien ; en plastique aussi. Je n’ai pas peur de ce qu’il y a après la mort. Je fais confiance au système solaire pour créer des planètes géniales où il fera bon vivre. Il était là avant nous. Il sait ce qui est bon. Le système solaire, on peut compter sur lui, émoji pouce levé jaune.


Bourg-Palette me manque
comme une ville
où j’aurais vécu

L’idée serait, à l’américaine, d’écrire un livre avec des bouts de plein de choses, et de faire comme si c’était volontaire, alors que c’est surtout volontairement l’aveu de pas pouvoir faire autrement (= d’avoir raté le projet ou d’avoir la flemme).

Si je pisse dans la douche, c’est pour sauver la planète.

Quand je pisse sous la douche, je pense au colibri de Pierre Rabhi, mais qui aurait la voix de Pumba dans Le Roi Lion, et qui me ferait un clin d’oeil satisfait et pervers.

Aussitôt après Pierre Rabhi mourrait.

L’écologie c’est le lien entre la pisse hors chiotte et des oiseaux rares utilisés à des fins mercantiles par Pierre Rabhi pour vendre des kilos de bouquins chez Actes Sud.

Quelque part dans une forêt tropicale, le colibri doit se dire : putain de Pierre Rabhi (et il tend un poing-aile rageur vers la canopée). Pierre Rabhi a complètement pompé le business du colibri sur le dos du colibri. Le colibri reste dans ses contrées modestes tandis que Pierre Rabhi a un loft à Majorque.

Très bonne affaire de Pierre Rabhi du point de vue capitaliste et placement immobilier. Un loft à Majorque ça vaut une blinde et dans 10 ans ça vaudra le double = opé en or.

Sauf si tout le monde est mort d’ici là, ce qui statistiquement est probable.

Par exemple, moi, dans la vie quotidienne, je dis tout le temps “il y a 100% de chance” ou “il y a 0% de chance”. C’est une sorte de tic de langage. Avant, comme tic, je gonflais mes narines.

Donc, si on me demandait lors d’une promenade ce que je pense de tout ça, je dirais qu’il y a 100% de chance pour que Pierre Rabhi soit mort dans 10 ans, et donc qu’il touche 0€ sur la revente de son bien immobilier de luxe.

Petite vengeance pour le colibri, qui aura lui-même sans doute déjà rejoint le dodo (RIP) parmi la grande ribambelle de faune éteinte.

Pisser sur ses pieds sous la douche c’est une honte pour soi mais c’est une honte quand même.


À lire la page Facebook du lieu, j’ai parfois du mal à savoir s’il s’agit bien de la Maison Julien Gracq, ou de la Maison Emmanuel Ruben.

95% des livres que je vois sur les tables des librairies ont l’air de puer la merde.

j’écris un roman
de 300 pages
bonnes critiques
il se vend bien

ma famille me prend
pour un artiste

la nuit
je passe des heures
sur dofus

Je suis assis au bord de l’eau. C’est ultra reposant d’écouter les clapotis et les animaux sous-marins. Sur mon ordinateur je regarde une vidéo que j’aime et qui me fait du bien. C’est un super moment que je passe là. J’aimerais que ça dure toute ma vie. Cette ville, je l’adore, rien que pour son lac. Toutes les villes devraient avoir un lac. Il y a des milliers de poissons sous l’eau. C’est à la fois beau et serein, et moi-même je m’inspire de cette sérénité pour devenir un homme meilleur. Souvent on me demande d’où je tire toute cette force, et je réponds de là, en montrant le paysage autour de moi, qui est magnifique. Je vois que ça inspire beaucoup mes interlocuteurs quand je montre le paysage avant autant de simplicité. Ils comprennent que je fais partie de lui comme il fait partie de moi, et que nos deux énergies se répondent. C’est puissant et en même temps c’est odieux pour eux, car ils comprennent alors qu’ils ne sont que des déchets. Je tente de les rassurer en leur montrant des vidéos sur mon ordinateur qui peuvent les remotiver. Il faut une sacrée force morale pour encaisser toute cette merde. Il faut regarder beaucoup de vidéos pour ne pas désespérer. J’ai plus de 9999 heures de vidéos à mon actif. C’est de là que je tire ma conscience extrêmement poussée du monde. Les ondes électromagnétiques m’ont donné une sorte de pouvoir ultime pour maîtriser les éléments, comme l’air, le vent, le feu et l’eau. Dans la série Avatar, un jeune chauve peut maîtriser tous ces éléments, et moi aussi, grâce à la puissance des vidéos et des ondes cumulées. La technologie nous offre le pouvoir d’être des surhommes, non pas grâce à des prothèses métalliques, mais grâce à la surpuissance mentale. Je n’ai pas besoin d’avatar numérique car je suis omniscient en ligne. Mais il ne faut pas oublier la nature. C’est elle qui fournit l’énergie numérique nécessaire pour construire des paysages en 3D. La 3D vient des arbres et des nuages. En fait, elle vient de l’origine de l’univers, qui est le chaos primordial. C’est ce chaos de la naissance des choses qui a fait naître les polygones et donc la 3D. Crash Team Racing vient des profondeurs du Big Bang et chaque course est comme un retour au trou noir qui est notre mère. L’eau en 3D peut se boire grâce à des pailles biodégradables. Dans la plupart des jeux vidéo, les personnages ne savent pas nager ni filtrer l’eau salée. Ils n’ont pas de charbon dans leurs carafes d’eau. Ils ne boivent jamais. L’eau n’est pas nécessaire à la vie numérique, ni l’air, qui est pourtant l’élément fondamental du vide numérique et de la 3D. En 2D il n’y a pas d’air car les décors prennent tout l’espace. Si les poissons pouvaient respirer sous l’eau ils construiraient des serveurs et joueraient avec nous à GTA V. L’humanité mène vers la reconstruction en 3 dimensions de notre univers. Dans Matrix le héros fait du kung-fu mais ne joue jamais au kung-fu car il incarne le kung-fu. Si on pouvait incarner l’eau, on pourrait reconstruire la Terre et accéder au rang de planète. On pourrait taper dans les autres planètes de notre système solaire et atteindre une galaxie lointaine où les rhinocéros ont un gros orteil à la place de leur corne. Ce gros orteil serait une conscience surdéveloppée nommée Dieu qui parlerait avec la voix interne de Windows XP. Pour construire cette vision d’une entité divine, je m’inspire des BDs de Jodorowski où les nanopapes ont des oeufs noirs qui flottent au dessus de la tête. Je me suis toujours demandé s’ils pouvaient éclore. En tant que planète on aurait la responsabilité énorme de protéger toutes les espèces animales et végétales qui vivraient sur nous. Il faudrait empêcher l’espèce humaine de commercialiser la PSP une seconde fois, même s’il y a eu quelques bons jeux. C’est une responsabilité énorme. Au départ de tout ça, il y a l’eau, l’air, le silence et quelques vidéos. On peut tout construire à partir de ces quatre éléments. C’est vraiment simple, quand on y pense.


J’aimerais écrire mon livre comme je vous parle. C’est-à-dire avec tous les parasites et toutes les idées sans lien qui surgissent à mesure. Je ne sais plus ce qu’est la linéarité, si je l’ai jamais su. Je ne sais plus ce qu’est la patience d’écrire. J’aimerais que tout aille vite, beaucoup plus vite, et tout dire en même temps. Je refuse de choisir. Je ne peux plus choisir, je n’en ai pas le temps. J’ai envie de profiter au maximum de ce que le capitalisme a à nous offrir avant qu’il ne s’éteigne, ou qu’on ne s’éteigne avec. J’ai envie de rire parce que tout va disparaître et que c’est affreux. Les ordinateurs, les voitures, la télévision, les dentifrices, les mp3, les serveurs, cette page web, tout ça va bientôt disparaître, presque d’un coup, et actuellement nous sommes obligés d’en garder le souvenir, et c’est une joie immense d’être les mémoires de ces détails mais c’est aussi, par avance, d’une nostalgie écrasante. Alors je n’ai plus le temps de savoir si je veux raconter l’histoire d’un quidam qui passe par là, c’est même hors de propos, parce qu’il faut tout raconter en même temps, d’un coup, les ordinateurs, les voitures, les dentifrices, les mp3, la télévision, les serveurs, toutes les pages web, tous les quidams qui passent par là, toutes les histoires d’amour, il faut se rendre compte de la masse de choses que nous avons à écrire, c’est une charge colossale, c’est démesuré. Moi je préfère abandonner d’office. Je n’ai pas le temps pour tout écrire. J’ai à peine le temps d’écrire ce paragraphe. Je le fais pourtant en sachant que c’est une faute. Je le fais par faiblesse. Je le fais pour ne pas raconter ma première partie sur POKéMON, toutes les émotions éprouvées entre mes 12 et 18 ans, ou la rue du Lac, ou les visages des voisins, mes figurines, mon grand-père, toute mon enfance, toute mon adolescence, j’écris les larmes aux yeux parce que je sais que je passe à côté de mon coeur en ne l’écrivant pas. Mais je n’ai pas le temps de m’attarder dessus. Tout part vous comprenez. C’est terrible comme sensation. Je ne retrouve déjà plus les archives de mes conversations MSN, ni l’url de mon skyblog. Et c’est pourtant tout ça que j’aurais déjà dû écrire, que je devrais écrire si j’en avais la force et le courage. Tout est en feu vous comprenez. L’oubli est infernal. Je n’ai même pas 28 ans. À la fin du Sacrifice de Tarkosvki le personnage principal court devant sa maison qui brûle. C’est une scène magnifique parce qu’il met le feu lui-même à la maison, avec toutes les chaises empilées, les verres, sa sono, les rideaux, les tables, les chandeliers, les lits, il donne tout au feu, et tous ses proches sont paniqués, ils hallucinent, et pourtant il a eu raison, il a décidé d’anticiper sur l’inéluctable et il est passé du même coup de l’autre côté, vous vous rendez bien compte que je réinterprète totalement le film à ma sauce parce que je n’ai pas le temps de trouver une comparaison adéquate, c’est d’une sagesse profonde de sa part, ultime presque. Qui pourrait, là, dans l’instant, tout jeter au feu et dire : vivement la suite ? Personne, je le crois bien, parce que l’accroche est trop profonde, parce qu’on est tous boulonnés à notre mémoire qui est ce système qui n’a plus de raison d’être. Le système, la mémoire, l’identité, rasés là, désintégrés, comme à la fin d’Akira, vous voyez, ce globe lumineux qui rappelle Hiroshima. Je pense qu’on trouvera une espèce de salut dans le jeu dernier, la formule est pompeuse mais l’idée simple, comme quand vous jouez une dernière fois avec une figurine avant de la ranger dans un carton, ou de la jeter aux ordures, ce plaisir là, sans perspective. Un plaisir immense. Il faut s’en souvenir avant de s’enfoncer dans la forêt, accompagné d’autres qui auront fait le même choix. Je veux profiter une dernière fois, encore un peu, de ce que ces jouets ont à m’offrir : pivoter les bras articulés, lancer une partie, tester les piles. Ensuite je serai disposé à découvrir la suite, cette autre vie qui nous attend, et qui n’a, je le sais, rien à voir avec la mort.


SPACEX

30$ l’aller simple
pour mars
3 mois de voyage
à peine
dans une fusée
façon SUV urbain
avec flipper
allume cigare
et concerts holographiques
de tom jones

on atterrit
dans un ouragan
éternel

après une randonnée
de 6 heures
en scaphandre
on arrive en haut
d’une sorte de montagne

il y a vénus
mars
et la terre
je crois


10

Énorme : il se trouve que le fermier a exactement le même écran plasma Samsung que Rivage. Après sa journée de travail épuisante à la ferme, il adore s’assoir dans son canapé trois places avec méridienne et mater ses films préférés en Blu-Ray. Il dit : je suis un vrai cinéphile. La qualité 4K des Blu-Ray c’est une expérience incroyable.

Samsung fait des écrans plasma de très bonne facture. C’est vraiment une marque à conseiller pour qui veut acheter un nouvel écran pour son salon.

Ouais, on peut dire qu’un écran plasma, et à fortiori de marque Samsung, ponctue parfaitement une décoration intérieure qui se veut de qualité.

Et Rivage a toujours soigné sa déco.

Il dit au fermier : mon écran ne s’allume plus.

Profondément, cette remarque casse les couilles du fermier.

Elle fait même l’effet d’un choc terrible. Un choc énorme simultané au niveau du coeur et du cerveau. Comme s’il avait été percuté de plein fouet par un 6110M John Deer, qui lui roulerait ensuite dessus au ralenti et lui exploserait le ventre et la tête calmement.

La destruction tranquille de son intégrité physique.

Et il dit : putain, j’en peux plus de vous les grosses merdes en technologie.

Ok, gros silence là-dessus.

Rivage le prend mal. Il le prend d’autant plus mal qu’il sait que c’est vrai. Donc il sort son flingue et met en joue le fermier. Sous la menace de son arme, le fermier se voit obligé de lui expliquer dans le détail le fonctionnement du menu. Rivage ne savait pas qu’on pouvait aller sur Internet. Il y a même une option pour afficher les sous-titres. Rivage sous-estimait complètement les capacités de sa machine. Il est heureux d’apprendre tant de choses. Son canon est toujours dirigé droit sur la nuque du fermier.

Au même moment, Copperfield a presque rattrapé le fuyard.


ARTIFICIAL LANDSCAPE

ce soir
le parcours de golf
se vide
des joueurs

la pluie
l’atmosphère
tout ça

on dirait
un niveau
de zelda


FIRST PERSON SHOOTER

en arrivant
sur les toits
on a un superbe
panorama nocturne
d’une los angeles
dévastée

en bas de l’ascenseur
une majorité d’extraterrestres
quelques monstres mutants
des porcoflics
et des frelons sentinelles

astuce :
on peut donner
des billets
aux putes
pour voir
leurs seins
et pisser
dans des urinoirs
simplement
en appuyant
sur la barre
d’espace


9

Pendant qu’ils courent à travers champs, Rivage dit à Copperfield : tiens au fait, il faudra que tu passes à la maison, j’ai un problème avec ma télé.

Le type quitte les champs pour disparaître dans un sous-bois. Ils ne le voient plus. Rivage n’a pas une très bonne foulée. Il est nul à chier en sport. Copperfield est un peu ennuyé. Il aurait les boules de laisser filer le type parce que Rivage ne tient pas son cardio plus de 5 minutes. C’est pas pro.

Copperfield lui dit calmement : allez, courage, on va le rattraper.

Ce qui, évidemment, à ce rythme, est complètement faux.

L’écart se creuse de plus en plus.

C’est la honte.

Au moins, le paysage est sympa. Copperfield aime bien le bocage. Dans son carnet, il y a aussi des dessins bucoliques qu’il gribouille de temps en temps. Il a un bon niveau, même si pas au point de devenir artiste. En plus des bocages, il dessine des robots. Parfois, il intègre ses robots dans des bocages pour créer des passerelles étranges entre son imaginaire et la réalité. Il ne se revendique d’aucune école.

Rivage s’est arrêté, les mains sur les genoux. Il tousse.

Copperfield regarde alternativement le sous-bois et Rivage, de plus en plus vite, comme pour presser l’un à rejoindre l’autre. Il dit : inspecteur, on va le perdre. Rivage sait que par sa faute ils sont en train de tout faire foirer. Il prend sur lui et dit : ok, pars devant, je te rejoindrai.

Copperfield file en sprint et disparaît à son tour dans le sous-bois.

À bout de souffle, Rivage s’assoit en plein dans la terre du champs.

De très loin, un fermier arrive à pied directement sur lui. Il paraît agacé.

Arrivé à sa hauteur, il lui dit : désolé monsieur, mais vous ne pouvez pas rester là.


8

Sur l’autoroute, ciel sympa, belle profondeur, bleu-rosé et les arbres de chaque côté s’alignent de manière à créer un environnement varié mais rassurant.

Rivage dit : tu sais Copperfield, il y a environ 2% de chance que l’on réussisse à traverser ces quatre voies. Tout ça, c’est mathématique. Des scentifiques ont calculé qu’entre la vitesse de notre marche, la vitesse des voitures, le nombre de voitures à passer par seconde et l’espace à traverser, on aboutissait à 2% de réussite. C’est vraiment très peu. Ils sont en panne, sur une bande d’arrêt d’urgence.

Ils viennent de poursuivre pendant 45 minutes un type au volant d’une BMW noire qui allumait pleine balle sur l’autoroute.

Le type a eu un accident et sa BM a fait plusieurs tonneaux. C’était très impressionant. Copperfield n’en revenait pas. Rivage conduisait avec sérénité.

Une fois la BM sur le toit, le type est sorti tant bien que mal de l’habitacle et a traversé l’autoroute en courant pour leur échapper. Ils se sont garés sur la bande d’arrêt d’urgence.

Ils en sont là.

Rivage dit : il faut tenter notre chance. 2% c’est peu, mais c’est faisable. Il suffit de faire des grands pas. Avec de très grands pas, on arrive à 2,00001%, ce qui est mieux. Copperfield ne voit même pas les voitures tant elles roulent vite. Il fait un peu nuit donc en plus les phares ont tendance à éblouir.

Rivage dit : allez, je me lance. Et il y va.

Tout se passe bien.

Parmi toutes les voitures qui sont passées depuis le début de leur conversation, trois écoutaient la même émission radio consacrée à des découvertes étranges en Antarctique.

C’est au tour de Copperfield, qui hésite. Il hurle à Rivage : vous êtes sûr que je ne risque rien ? Rivage fait semblant d’avoir entendu et lève son pouce.

C’est juste, mais ça passe aussi.

Pour la journée, ils ont épuisé leur quota de chance. Rivage dit : maintenant, on ne peut plus compter que sur nous.

Ils regardent le type s’éloigner en courant à travers champs.


7

Les enquêtes, Rivage adore ça. Au volant de sa voiture, il dit : quel plaisir de mener cette enquête. Il regarde le paysage par la vitre conducteur et il apprécie le moment. Il dit à Copperfield : j’aime les crimes, même s’ils sont horribles. Copperfield note dans le crime il y a une beauté éternelle.

En dessous, Copperfield note les paysages sont magnifiques dans cette région du pays.

Rivage dit : des adolescents qui se droguent, c’est vraiment atroce. Un peu plus tard, au directeur du collège qu’il interroge, il répète la même phrase. Le directeur renchérit : oui, c’est atroce ce monde dans lequel on vit. Ensuite, il regarde longtemps une photo de son fils sur la droite de son bureau, en train de jouer du saxophone.

Rivage demande : c’est votre fils ? Il a l’air de s’y connaître en saxo.

Le directeur demande : vous pensez que d’autres adolescents sont impliqués dans cette histoire ? Rivage regarde par la fenêtre les adolescents aller et venir dans la cour. Deux d’entre eux discutent d’un nouveau bloc intégré dans le dernier patch Minecraft et qui permet de se téléporter. Le premier dit : c’est vraiment pratique. L’autre dit : en même temps la map est illimitée.

Rivage serre la main du directeur et quitte son bureau. Copperfield note le directeur ment. À 50 mètres, quatre autres adolescents discutent, en cercle. Copperfield note le directeur couvre le meurtre. Rivage garde les mains dans ses poches. Un des quatre adolescents les remarque et se tourne vers eux. Il mime un pistolet avec ses doigts et tire sur Rivage, qui tombe d’un coup sur le sol.

Aussitôt, Copperfield s’agenouille à ses côtés et dit : tout va bien inspecteur ?

Rivage lui fait un clin d’oeil.


6

Sam Delta boit un mojito. Il n’en revient pas : ce mojito est excellent. S’il s’écoutait, il le boirait cul sec.

Rivage lui dit : dis-donc Sam, tu as l’air d’avoir la forme. Sam Delta pense à la réussite qu’est sa vie en cet instant. Il médite trois fois par semaine et parfois quatre si son emploi du temps le lui permet. Il aime prendre le temps de se construire un palais mental absolu.

Sam Delta dit : j’ai trouvé ce que tu m’as demandé. Il parle d’informations demandées par Rivage à propos des parents de l’adolescent.

Ils ont tous les deux un casier judiciaire vierge. Le père pratique le golf à un niveau amateur suffisamment élevé pour se faire passer comme pro auprès de ses amis. Il atteint parfois les 250m au bois 3 mais manque de régularité sur les approches. Le petit jeu n’est pas son fort.

La mère est quadruple championne du monde de BMX mais n’en a jamais parlé à personne pour ne pas faire d’ombre à son mari. C’est dire à quel point la discipline souffre d’un manque flagrant de publicité.

Ils aimaient leur fils plus que tout et lui avaient offert pour ses 14 ans une PS4 avec Fifa 10 et Final Fantasy X-2. Il avait pleuré de joie en débalant la console. Eux aussi avaient pleuré car cette PS4 symbolisait le parfait amour qu’ils éprouvaient pour leur fils. Elle l’incarnait au-delà des mots grâce à son mélange de puissance (processeur AMD Jaguar) et de mémoire (DD amovible 500Go).

Qu’un tel tableau puisse avoir été brisé est une tragédie pour toutes les familles de Myriad Pro.

Rivage demande : tu es où là ? Sam Delta répond : dans mon salon, tranquille.

Rivage dit : c’est bien.

Sam Delta dit : attends, bouge pas, on frappe chez moi. Derrière la porte d’entrée, un livreur avec dans les bras deux cartons de rhum arrangé. Au total, il en a eu pour un peu moins de 198$ les douze bouteilles frais d’import compris.

S’il s’écoutait, Sam Delta se ferait un deuxième mojito.


5

Rivage dit : moi, je commence à avoir la dalle. Donc => direction la brasserie.

Pendant que Copperfield commande, Rivage regarde les photos qu’il a prises à la morgue. L’une d’entre elles le fait marrer et il la montre à Copperfield. Copperfield se marre lui aussi (un peu moins) alors il la montre serveur, qui fait une moue gênée.

Le serveur dit : je ne suis pas très réceptif aux photos de cadavres. Par contre, je suis ceinture noire de karaté et je maîtrise le mawashigeri.

Dehors, énorme soleil blanc qui défonce la vue.

15 minutes plus tard, il leur sert deux steaks-frites bien copieux, 2kg chaque pièce de boeuf. Pour les cuissons, Rivage a demandé saignant et Copperfield à point. Comme le serveur s’est trompé, ils échangent leurs assiettes. Rivage avait déjà mangé une ou deux frites dans son assiette avant de la donner à Copperfield, qui se sent lésé.

Dans leur dos, deux femmes discutent du meurtre. Rivage se lève et leur montre la photo sur son téléphone. Il dit : regardez la réalité en face.

Par erreur, il avait ouvert la galerie d’images pré-enregistrées sur son téléphone et montre aux femmes un paysage champêtre du genre fond d’écran Windows XP.

Ce paysage numérique éternel provoque une sorte de révélation mystique aux deux femmes qui entrent dans une transe incontrôlable et quittent la brasserie sans payer.

Rivage regarde l’écran de son téléphone et pense à la reconstruction de Miami sur Mars.

Quelque chose comme une demi seconde plus tard, son téléphone vibre dans sa main. Sam Delta l’appelle.


4

Dans la section blabla du forum Minecraft fr, ça discute sereinement.

m444rc
un gars s’est fait tuer dans ma ville
peter__fire
_putain tu le connaissais ?

m444rc
ouais j’étais dans le même collège

m444rc poste un scan de l’article paru dans le journal de Myriad Pro. Le scan est en 3500x2467 pour bien apprécier tous les détails de la photo d’illustration (le mort).

xXx-lolitaaa-xXx
salut

xXx-lolitaaa-xXx est en réalité [HOMME BLANC], 52 ans, sans emploi, amateur de pédopornographie et serial-killer. Il travaille comme assistant de la coroner à la morgue. Il a croisé Rivage et Copperfield 5 heures plus tôt.

Il aime bien Minecraft, sans plus.

Il est sur un serveur casual, où les autres joueurs construisent des reproductions à l’échelle de monuments célèbres ou de vaisseaux spaciaux. Il a une bonne config PC, qu’il n’exploite pas à fond.

peter__fire
_mourir étranglé c’est vraiment atroce

diegoSSIMO
noyé c’est pire
peter__fire
_c’est presque pareil

m444rc
même si c’est ce qu’ils disent dans le journal, je pense pas qu’il a vraiment été étranglé
à mon avis on l’a transpercé de 1000 coups de poignard dans la tête

En bas, la mère de peter___fire l’appelle pour manger. Il n’a pas tellement faim, sauf peut-être pour un ou deux yaourts à la fraise. Il écoute Love Talkin’ de Tatsuro Yamashita. Il adore discuter avec ses amis sur le forum. C’est une vraie soupape après les cours. Depuis 3 mois, il est un des 35 modérateurs de la section PvP. Pour sa photo de profil, il a choisi le personnage principal d’un dessin-animé en 3D au succès confidentiel. Son pseudo vient de là aussi : le personnage s’appelle Peter Fire.

xXx-lolitaaa-xXx
si vous voulez en savoir plus sur moi, go MP


3

Dans le journal, Myriad Pro : un adolescent assassiné. Copperfield le montre à Rivage, qui le lit en silence. Rivage ferme le journal et dit : c’est une sombre affaire.

Dans la rue, quelqu’un passe qui les salue.

Rivage dit : jamais vu ce type. Copperfield dit : c’est sans doute parce qu’on est dans le journal. Rivage ouvre à nouveau le journal et lit un second article sous le premier. L’inspecteur Rivage mène l’enquête. Encore en-dessous, il lit l’horoscope.

Le type qui les a salués est toujours devant, à 15 mètres environ, et il leur dit : alors, vous avez trouvé le meurtrier ?

Trois heures plus tard, ils sont à la morgue. La coroner leur dit : c’est une sombre affaire. L’adolescent a des blessures un peu partout sur le corps. Au niveau du cou, il a un bleu foncé qui prend la forme d’un lien.

La coroner dit : on l’a étranglé.

Pendant ce temps, Rivage a ouvert un autre tiroir au hasard et dit : tiens, je le connais lui. La coroner et Copperfield le rejoignent et regardent le mort. La coroner dit : oui, il était très célèbre. Rivage demande à Copperfield de le prendre en photo avec lui. Rivage lève son pouce à côté de la tête du mort puis il dit : ça fera des souvenirs.

Sur son téléphone, Copperfield cherche le filtre le plus adapté. Dehors, le temps est ok.

Un assistant descend à son tour dans la morgue avec les résultats des examens. La coroner lit le document et dit : l’adolescent avait de la drogue dans le sang.

Rivage regarde la photo prise par Copperfield et dit : c’est vraiment parfait. La coroner jette un oeil et ajoute : oui, ça rend vraiment super bien.


2

Collège de Myriad Pro, le lendemain matin.

Rivage interroge une enseignante pendant que Copperfield regarde les trombinoscopes. Rivage dit : j’ai toujours été nul en français. L’enseignante dit : c’est une langue difficile. Copperfield dit : ah, voilà, c’est lui ! Il pointe un visage sur la photo de classe de la 5C. La tête de l’adolescent dépasse au troisième rang.

Rivage s’approche et dit : oui, c’est lui.

L’enseignante s’approche et dit : alors c’est donc lui. Il y a un court silence puis Rivage dit : eh oui, c’est lui.

Rivage dit : vous le connaissiez ? L’enseignante répond : non, c’était un élève sans histoire. Des notes correctes, une vie de famille stable. Copperfield note adolescent sans histoire.

Maison des parents de l’adolescent, trois heures plus tard.

Le quartier résidentiel est désert. De tête, Copperfield calcule environ 5 kilomètres entre le champ où on a découvert l’adolescent et sa maison.

Rivage dit : je commence à avoir faim. Le père a préparé un boeuf bourguignon. Rivage regarde l’intérieur de la marmitte et dit : ça a l’air appétissant. Le père dit : oui, c’est ma spécialité.

Rivage dit : bon, on n’est pas là pour ça.

Dans le salon, la mère est effondrée. Copperfield note le père est effondré intérieurement et cuisine sa spécialité pour compenser le manque.

Rivage dit : vous savez qui aurait pu en vouloir à votre fils ? Entre deux sanglots, la mère dit : non, c’était un fils sans histoire, mais Rivage ne comprend pas très bien ce qu’elle dit à cause de ses reniflements. D’entendre sa femme pleurer, le père aussi se met à pleurer au dessus de la marmitte de boeuf bourguignon. Rivage est désolé pour eux. Il demande s’ils peuvent regarder sa chambre. Le père les accompagne en silence.

La police scientifique est déjà passée par là. Rivage se prend les pieds dans une banderole accrochée à quelques centimètres du sol et tombe directement sur la table de chevet. Il dit : putain de bordel de merde. En se relevant, il fait tomber un genre de porcelaine qui se brise sur le sol. Il répète ce qu’il a dit juste avant.

Copperfield dit : Rivage, regardez.

À l’intérieur de la porcelaine, un morceau de papier enroulé.

Rivage l’ouvre et lit en silence ce qui est écrit dessus. Copperfield dit : alors ? Rivage lui tend le papier. Copperfield le lit en silence puis le recopie BANJO BEGS FOR PLENTY OF EGGS.

Rivage dit : j’ai toujours été nul en anglais.


1

Rivage est sur une nouvelle affaire.

Une voiture arrive de face, qu’il conduit. Nationale 71. À la radio, Love is the Devil. Dans le pare-brise arrière : pylônes, câbles, ciel avec beau dégradé orange et noir.

Sur le siège passager, Copperfield.

La voiture s’arrête sur un remblais. Rivage et Copperfield descendent. Ce qu’ils voient : un champ en jachère et des herbes hautes. Ce qu’ils voient après avoir marché 5 minutes dans le champ : un corps.

L’affaire est macabre, c’est un crime. Le corps, un adolescent.

Copperfield note terre encore meuble.

Rivage dit à Copperfield : hier, à la télé, il y avait un super film. Copperfield lui demande lequel. Rivage dit : un genre de western, vraiment excellent. Je pense qu’il faut l’avoir vu au moins une fois dans sa vie. Copperfield note regarder plus souvent la télé.

Copperfield prend des photos du corps. Rivage s’essuie le front. Copperfield note mort par suffocation. Rivage s’aperçoit qu’il ne sue pas.

Rivage dit : merde, j’ai dégueulassé mon jean. Copperfield regarde le jean de Rivage et voit une tache marron au niveau du genou gauche. Copperfield dit : il faut bien frotter avec du savon et de l’eau froide. Rivage mouille son doigt de salive et tente sa chance. Copperfield le regarde.

Copperfield dit : parfois, il vaut mieux ne pas insister.

Rivage regarde sa montre. Copperfield pense qu’il attend des renforts. Le soleil se couche. Rivage met sa torche dans sa bouche pour garder les mains libres. Il éclaire directement le visage de l’adolescent. Copperfield dit : attention à ne pas l’éblouir. Rivage se retourne et éblouit Copperfield. Il se marre et fait tomber la torche de sa bouche. Elle roule dans l’herbe et tape contre une roche pleine de sang.

Copperfield note l’arme du crime est une roche. Rivage dit : c’est fou ce qu’il y a comme bordel par ici, et il jette la roche un peu plus loin dans le champ. Ils la perdent. L'arme du crime est une roche.

Rivage sort son téléphone et appuie sur les touches. Copperfield dit : vous appelez des renforts ? Rivage dit : non, je joue. C’est une sorte de remake de Tétris. Je suis accro mais nul à chier. Copperfield regarde l’écran. Il dit : vous auriez dû mettre la brique à droite. Juste après, Rivage perd et dit : putain, tu m’as déconcentré.

Une voiture passe à côté du champ et ralentit à leur hauteur. Le conducteur les regarde sans doute. Copperfield lui fait un signe de la main. Le conducteur baisse la vitre passager et gueule : qu’est-ce que vous foutez ? Rivage gueule : on est sur une affaire de meurtre. Le conducteur gueule : merde, c’est grave ? Rivage gueule : ouais, assez, c’est un ado. Le conducteur gueule : bon ben bonne chance alors, puis il remonte la vitre passager et part d’un coup à 150 km/h.

Rivage dit : sympa ce type. Copperfield acquiesce.

Rivage dit : bon, on va pas non plus rester là toute la nuit. Il pense à son jean.

Détail important : l’adolescent est à moitié nu. À l’intérieur de sa cuisse gauche, un tatouage de couronne qui a suppuré.

Copperfield note couronne = meurtrier.


C’est à la télévision que j’en ai entendu parler pour la première fois. J’ai pris le reportage en cours de route et j’ai été forcé d’assembler correctement les informations au fur et à mesure. Les images n’étaient pas de très bonne qualité, comme si le caméraman filmait avec un Sony Ericson de 2008. La journaliste était à quelques rues de chez moi, devant le portail du collège par lequel j’étais passé il y a 4 ans. Entre-temps, l’administration avait fait des travaux et repeint le portail d’entrée. La journaliste paraissait bizarrement agitée, comme s’il se passait quelque chose de macabre dans son dos. Le caméraman aussi était agité, et l’image tremblait un peu dans tous les sens ; ils semblaient tous les deux confus et essouflés. C’était peut-être la première affaire de ce genre qu’ils avaient à couvrir. À force, j’ai donc compris qu’il s’agissait d’un meurtre. Il venait d’avoir lieu, à peine 10 minutes plus tôt, d’après la journaliste. Elle a ensuite demandé au caméraman de filmer à côté du portail, sur le sol, comme pour témoigner du meurtre qui venait d’avoir lieu, mais le trottoir était vide. Il n’y avait ni traces de sang ni débris. Elle a voulu interroger un passant, qui lui a dit n’avoir rien à déclarer. Le collège devait être vide car on n’entendait aucun cri venir de la cour. Si je ne connaissais pas si bien les lieux, j’aurais même cru que le collège était abandonné, ou qu’il s’agissait d’une sorte de dépôt municipal. Parfois le caméraman filmait les pieds de la journaliste. Elle a précisé que la police recherchait toujours le meurtrier, et qu’aucune piste n’était privilégiée. Elle a conclu en disant que l’enquête suivait son cours. Depuis, partout où je cherche, je ne trouve aucune trace de ce crime.


Suite à l’épisode 8x03 de GoT : beaucoup ne comprennent pas pourquoi le Night King meurt de la dague d’Arya Stark. La série souffre depuis quelques saisons d’énormément de facilités scénaristiques, de dialogues creux et de raccourcis (c’est une série qui, je le pense, est mal écrite). Pourtant, cette mort est selon moi un des seuls choix stratégiques possibles.

À 4 moments dans l’épisode, il est explicitement montré que le face à face ne mènera à rien : 1) la charge des dothrakis aussitôt réduite à nénant 2) l’insensibilité du Night King au feu des dragons 3) le refus du Night King d’affronter Jon Snow en duel en lui barrant la route avec les morts 4) l’attaque interminable de Viserion contre Jon Snow dans Winterfell. En somme : il n’est pas possible d’affronter l’antagoniste principal en 1VS1 selon les règles traditionnelles, car même le premier concerné ne le souhaite pas.

Le combat est désespéré, et dès le départ il devait être perdu : logiquement, aucun protagoniste dans la mêlée ne pouvait survivre (je pense à Jaime, Brienne, Podric, Sam, Ser Davos ou Thormund). La ruse devait prendre le dessus.

L’erreur principale à mon sens est que dans la diégèse, les personnages principaux (donc : stratèges) ne comprennent pas cela. L’atout essentiel qu’est Arya devrait scintiller comme un objet clé dans Zelda, et l’assassinat du Night King s’imposer comme une des seules portes de sortie possibles. Pourtant, les scénaristes ont décidé de nous l’imposer comme un effet de surprise.

Tout fait d’Arya l’assassin idéale à cet endroit : connaissance pointue du lieu, qui est son territoire d’enfance, capacités de dissimulation prodigieuses (cf. assassinat de Waldrey Frey et de ses hommes), avantage dans l’obscurité (cf. la scène une ou deux saisons plus tôt où elle coupe une chandelle), inconnue des ennemis (n’a jamais fait face au moindre WW), efficacité au corps à corps (cf. combat d’entraînement contre Brienne), etc.

Beaucoup de spectateurs attendaient à mon sens un affrontement semblable à celui de l’épisode Battle of the Bastards, sans prendre en compte que Ramsay Bolton est un personnage égocentrique à l’extrême qui recherche justement le face à face. Et la résolution jouissive de ce combat ne pouvait s’appliquer au Night King, qui semble uniquement intéressé par son but : The Tree-eyed Raven.

S’il y a donc bien des problèmes à cet épisode (notamment : une stratégie militaire déplorable, des personnages principaux immortels, un manque d’approfondissement des WW), l’étrange n’est pas qu’Arya Stark tue le Night King, mais que personne n’y a vraiment pensé autour d’elle.


Évidemment, il y a un monde dans lequel je n’écris plus. C’est celui que je vis en ce moment. Souvent je me demandais : est-ce qu’un jour j’arrêterai d’écrire ? Je pense que la réponse est oui, ouvertement oui, quand on voit tout ce qu’il y a à faire à côté, je me dis que viendra un moment où l’écriture ne fera plus partie de moi. Je n’aurai pas tout écrit pour autant, mais je n’aurai simplement pas trouvé le temps/l’énergie/le moment pour. Les choses, même les plus intimes, s’arrêtent souvent comme ça, parce qu’il y a autre chose à faire à côté. Je n’ai pas de temps à y consacrer, tout me semble trop complexe. C’est qu’écrire ne convient plus, ne s’impose plus.

2 sites de création littéraire à consulter : Cartridge Lit et Surfaces.

« Je n’aime pas
mon propre visage
dans les petits miroirs des distributeurs à pièces
devant les magasins fermés. » – Charles Reznikoff, Çà et là (trad. T. Gillyboeuf).


Je m’inquiète de voir sur Youtube les discours sexistes, racistes et pro-armes se développer et se répandre auprès d’un public toujours plus nombreux (et jeune), promeut par des animateurs qui se révèlent finalement être de la pire des races. C’est un média qui se développe vite, et qui était encore relativement inoffensif jusqu’à il y a trois ou quatre ans, car surtout occupé à développer financièrement sa stabilité. Aujourd’hui, untel, qui publie du contenu autour de la bande-dessinée et la permaculture, défend l’utilisation des armes à feu parce que la police n’arrivera jamais à temps. Telle équipe esportive dont les membres revendiquent être des “mâles alpha”, et qui harcèlent massivement des femmes en ligne, sans aucune notion de leur audience. L’article de Numerama publié dernièrement est éclairant à ce sujet. On parle de millions de personnes touchées par ce discours. Là où les médias traditionnels minimisent la portée des youtubeurs, je crois au contraire qu’il y a une prise de conscience forte à avoir, car aucun contre-pouvoir équivalent n’existe sur cette plateforme. Il n’y pas de contre-pouvoir du tout sur Youtube. De l’animation, on touche désormais aux orientiations politiques et sociales, particulièrement inquiétantes.

Je ne sais pas pourquoi j’écris ça. Je me disais simplement : ça se répand, et ça m’inquiète.


avec mon boys band
on sortirait des clips
à 400 millions de vues
sur youtube
qui proneraient
la tolérance
et la confiance en soi
on deviendrait
millionaires
tout en restant
humbles
et je pourrais vivre
à seoul
dans 15m2
avec mon ordinateur
30 cartons
de ramens
et une panoplie
de costumes
gucci
je serais bien tranquille
et sans doute
dépressif


si quelqu’un
était responsable
de mon image
de marque
j’aurais des chemises
à imprimé dragon
des blazers fuschias
et des cheveux
bleus

je vivrais comme dans
une cinématique
de final fantasy X


J’écris en ce moment un livre intitulé FUTUR MAITRE DE LA LIGUE POKEMON.

Le site de Théo Robine-Langlois.

« Quand je me suis mis à la poésie,
je l’envisageais comme un art.

Plus tard dans ma vie,
j’ai commencé à rejeter
cette idée.

Et aujourd’hui,
ça m’est égal. » – Guy Bennett, Poèmes évidents (trad. F. Forte).


Je lance une nouvelle partie pour me construire une maison en bois près d’un cours d’eau. Le soir quand la nuit tombe je n’entends plus un bruit. Les arbres ne bougent pas, il n’y a aucun oiseau. Je me dis que le mouvement, c’est la mort.

Sur la route 106, je rencontre un ornithologue. Il me demande d’où je viens puis me provoque en duel. Après l’avoir vaincu, il me dit que ma vie ne l’intéresse pas et me donne 100 pokédollars.

Je pêche et fais du vélo dans des villes où je ne connais personne.

Certaines routes sont bloquées par des gardes-frontières. Je dois affronter tout le monde. Chaque lieu où j’arrive est autant d’adversaires à dominer.

Je n’ai pas d’amis, et pas revu ma mère depuis si longtemps. Je n’ai pas de maison. Je ne dors pas la nuit.

Je me pose énormément de questions. Rien ne m’a jamais paru évident. Je cherche la façon de dire quoi dire. C’est épuisant de toujours tout recommencer à zéro. Tout me semble facile et sans relief. Chaque mot vaut l’autre et chaque phrase répète la même idée. S’il y a de la beauté, elle ne paraît pas. S’il y a du sens, il ne s’impose pas. Tous les univers se fondent dans une même logique uniforme. Je voyage entre plusieurs couches qui toutes, désormais, se rassemblent. La littérature est chose morte.


Le problème c’est qu’on peut tout écrire, et n’importe comment. On peut tout écrire comme ça, la même histoire, cent soixante trois fois différentes. Comment choisir la bonne, ou plutôt, comment en choisir une.

un des garçons du forum m’a contacté par message privé pour me dire qu’il avait des preuves de la mort d’arthur. on lui avait proposé de participer au rituel sacrificiel dont il a été victime. beaucoup de garçons se réunissent comment ça et célèbrent les morts d’autres garçons choisis au hasard.

on tourne un clip pour le premier single de notre groupe DREAMORAMA. le réalisateur fait des gros plans de moi en train de jouer de la guitare et de pete à la batterie. pete est obligé de répéter plusieurs fois les mêmes mouvements pour avoir tous les plans nécessaires. je regarde pete jouer et le réalisateur le filmer. j’ai arrêté de jouer de la guitare. les techniciens ne disent rien parce que le réalisateur a l’air plus concentré que jamais sur le jeu de pete qui concentre toute l’attention. je ne l’ai jamais vu comme ça. on dirait qu’il est dans une autre dimension, qu’il vient de nulle part. il joue avec des baguettes en métal qui défoncent le tissu de ses caisses. le réalisateur est à 5 cm de ses mains. sur un très grand écran derrière les techniciens je vois les mains en sang de pete et les baguettes de métal qui lui rentrent dans les paumes. on dirait les prolongements de ses os comme s’il était devenu une espèce de machine. je ne sais pas si le clip sera très bon ni combien il fera de vues sur youtube. notre manager nous a dit qu’on avait une date dans trois mois au japon. apparemment là-bas ils sont fans de notre musique et notre single se vend à des millions d’exemplaires. ils appellent pete THE MACHINE. les japonais ont toujours eu un truc pour les robots. on va devenir des stars.


j’ai découvert un nouveau passage au niveau 3 de banjo-kazooie. je l’ai trouvé en longeant les murs, après m’être longtemps cogné. sur internet personne n’en parle. peut-être que je suis le premier à l’avoir trouvé. sur les forums les autres joueurs disent qu’il y a un passage dans le jeu pour sortir du jeu, passer du niveau 3 à un autre endroit qu’ils ne savent pas expliquer. je pense qu’ils parlent de ce passage. j’ai demandé aux garçons du skatepark s’ils en avaient entendu parler mais ils ne jouent pas à banjo-kazooie. ils jouent à resident evil. ce n’est pas le même type d’univers.

hier soir sur le forum quelqu’un s’est fait passer pour arthur. il a écrit un très long témoignage dans lequel il explique comment les inconnus se sont organisés autour de l’école pour les enlever et les torturer dans des caves loin des regards. il a donné les noms des prochains élèves qui seront enlevés si personne ne fait rien. il y avait mon nom dans la liste, et d’autres noms barrés, comme pour annuler la malédiction. rien n’arrête les inconnus. même dans sa grotte à soi on est à eux. il y avait des vidéos par anticipation des prochaines victimes moi compris. c’est étrange de se voir enlevé dans la vidéo, et mort ensuite, c’est-à-dire hors-champ. en dehors du cadre l’absence est éternelle. je pense à steve qui ne donne plus signe de vie et qui doit pourtant filmer toutes ces nouvelles vidéos de moi et des autres. je ne sais pas à quoi il joue. peut-être qu’arthur, steve et les inconnus ne sont qu’une seule et même personne. celui qui se fait passer pour arthur a écrit un autre post sur le forum. il dit aux menteurs de se dévoiler et de donner leur identité. il y a des garçons qui donnent leur vrai nom.

« Il y aura des geysers, il y aura des plans-séquences. On tournera ici, on aura des fonds verts et des monstres en 3D. Ce sera grand, tellement plus grand que nous. » – Guillaume Vissac, Accident de personne.

« I rode the train to the beach and spent twenty hours looking at waves.

I would imagine I have butchered 30. Imagined a papermissile in the void. » – Mike Kleine, Lonely Men Club.


j’ai pris l’habitude de revenir voir les garçons du skatepark la nuit. ils écoutent toujours les mêmes albums en boucle. parfois il y a des phares au loin qui les éclairent un peu et les gênent. il y en a toujours un qui met sa manche devant son visage, comme pour éviter qu’on le reconnaisse. il m’a dit que c’était un inconnu, mais je ne le crois pas. les inconnus ne se déplacent pas en voiture, et pas en dehors des hautes herbes. sous la rampe ils jettent leurs cadavres de bières et les emballages des pétards qu’ils craquent. ils m’ont dit que kurt cobain s’était suicidé en s’enfonçant une lame dans la gorge, mais je ne les ai pas crus. je ne sais pas si je veux faire partie de leur bande, ni pourquoi je reviens les voir. je ne les ai jamais vus à l’école. ils viennent peut-être d’une ville voisine. l’un d’entre eux a sorti son téléphone et se met à filmer son ami qui fait quelques figures. je vois sur son écran qu’il filme en gros plan le visage et surtout la sueur qui semble se former sur le haut de la lèvre et sur le front. il suit de très près la peau qui brille blanc. je crois qu’il sait que je le surveille et qu’il veut me montrer ça, indirectement. il ne s’intéresse pas du tout aux figures de skate. le dernier des trois est resté assis et regarde le noir autour de nous. à un moment il s’allonge sur le dos comme pour regarder les étoiles mais le ciel est plein de nuages et je pense qu’il ne voit rien. il me demande si j’ai déjà vu la lune le jour, qu’elle forme comme une nouvelle planète et transforme la terre en autre planète également. ensuite quand il se redresse il est comme dans une réalité parallèle, où ses amis ont les mêmes visages mais n’ont pas les mêmes noms. il me dit qu’à chaque fois, chaque soir, c’est comme une nouvelle vie pour lui. il me dit de me méfier des vidéos et de ceux qui les filment. si on filme trop longtemps les autres, on se perd dans l’oeil qui veille. j’apprends ensuite qu’il était ami avec arthur, qu’il venait parfois avec eux au skatepark. il y restait toujours beaucoup plus longtemps que les autres, tout seul. ils pensent qu’il voyait quelqu’un, pas de façon amoureuse, mais simplement pour la rencontre. d’autres personnes viennent plus tard dans la nuit, qu’il vaut mieux ne pas rencontrer.

j’ai reçu un autre message de steve, sans texte cette fois, seulement avec une nouvelle vidéo d’arthur. il est attaché dans une cave et il saigne au niveau du torse, des épaules et des chevilles. on ne voit pas son visage qui fixe le sol. il est à moitié nu mais les ombres lui font des vêtements. j’ai l’impression d’avoir déjà vu cette vidéo, qu’un inconnu me l’a montrée dans ma grotte il y a plusieurs semaines. je ne sais pas si arthur est toujours vivant ou si c’est une archive de ses derniers instants. le message de steve est daté d’hier mais pour la vidéo, je ne sais pas. je sais où est la cave. je sais qui la possède. si steve m’a envoyé ce message, ce n’est pas par hasard. j’ai montré la vidéo aux garçons du skatepark, mais ils n’ont pas voulu la regarder jusqu’au bout. ils préfèrent ne pas savoir ce qui est arrivé à arthur, pour ne pas que ça leur arrive à eux aussi. ils me mettent en garde car steve a mauvaise réputation, et il pourrait être complice. ils pensent que steve n’a pas disparu mais plutôt qu’il filme toutes ces vidéos pour son plaisir, comme pour envoyer un avertissement. sur mon ordinateur j’ai de plus en plus de vidéos filmées par steve. j’ai rangé le premier dossier de ses vidéos sur un disque dur externe et je l’ai renommé STEVE VEILLE. j’ai peur qu’on me le vole et je ne dirai pas où je l’ai caché. quand je suis à table avec mes parents je pense à ce disque dur et je n’entends pas ce qu’ils me disent. je vois le disque dur dans ma tête et je me répète STEVE VEILLE encore et encore jusqu’à ce que je reprenne conscience, allongé dans un lit qui n’est pas le mien, dans une maison que j’ai parfois vue à la télévision.

j’ai aperçu mon père en train de discuter avec un autre homme que je ne connaissais pas. ils se sont échangé plusieurs bouts de papier. l’autre homme regardait souvent autour de lui, comme s’il avait peur qu’on le surprenne. il était agité et faisait de grands gestes. j’ai filmé la rencontre avec mon téléphone, et je me la repasse parfois au ralenti. je reçois un nouveau message de steve avec une vidéo. on m’y voit en train de filmer mon père et l’autre homme. j’ai un visage satisfait qui trahit le plaisir que j’ai pris à les espionner. je remarque que mon père est en copie du message de steve et qu’il doit être en train de regarder la vidéo de son côté en même temps que moi. deux minutes plus tard, mon père envoie un message à steve en le remerciant pour la vidéo. il est content de savoir qu’arthur est en vie, il pourra prévenir ses parents, qui sont aussi ses amis. le soleil frappe très fort à travers la vitre et je ne vois plus l’écran de mon ordinateur. j’ai chaud et enlève mon sweat. mon père est dehors en train de tondre la pelouse. je ne sais pas qui a répondu à steve avec l’adresse de mon père. quand le soleil arrête de taper sur l’écran, je m’aperçois que c’est moi.

« Inspecteur P quitte son poste d’observation son arme à la main, il tombe nez à nez avec le costard blanc et son acolyte chauve armé d’Uzis, s’ensuit une fusillade en mode GTA. » – Théo Robine-Langlois, […].


deux jours plus tard, j’ai reçu un message de steve sur mon ordinateur. il me disait qu’il ne pouvait pas me parler. je suis soulagé qu’il soit en vie. il m’a dit qu’il avait retrouvé arthur, mais qu’il était dans un sale état. il m’a demandé si j’avais retrouvé la cassette. si je ne la retrouve pas, quelqu’un d’autre la retrouvera. il m’a dit de me méfier de tout le monde à l’école, et de ne plus traîner devant le portail après les cours. avec son message il y avait une vidéo de moi en train d’attendre devant le portail, filmée de très loin, derrière des arbres de l’autre côté de la rue. le lendemain j’ai essayé de retrouver l’endroit d’où on m’avait filmé, et je filmais les autres élèves qui restaient devant le portail à parler. le soir, quand j’ai regardé la vidéo, j’ai remarqué que tous les élèves filmés me fixaient avec un regard de meutrier. j’ai supprimé la vidéo mais parfois j’y pense dans mon sommeil et je me réveille en sursaut. je marche dans la maison pour retrouver mon calme et j’ai l’impression qu’il n’y a personne dans la chambre de mes parents. je reste assis dans la cuisine. une fois j’ai senti qu’on m’appelait à l’extérieur. je suis sorti dans la rue la nuit il n’y avait aucune voiture. j’habite un lotissement à l’écart de la ville où seuls les gens dorment. je devais rejoindre quelqu’un mais je ne savais pas qui. j’ai marché jusqu’au skatepark. trois garçons étaient assis en haut d’une rampe. au début ils ne m’ont pas parlé. je pense qu’ils ne m’avaient pas vu. je ne comprenais pas bien ce qu’ils faisaient, s’ils lisaient un magazine ou autre chose du genre. je me suis approché et j’ai vu qu’ils regardaient une vidéo sur leur téléphone. c’était la vidéo que j’avais filmée devant le portail de l’école. ils m’ont dit qu’ils savaient que je les espionnais après les cours. tout était noir autour du skatepark et un seul lampadaire éclairait la rampe. ils écoutaient le premier album de placebo.

« VLADILEN : J’ai peur des nuits où je rêve que je ne dors pas et toute la nuit la durée du rêve est la durée de la nuit où je ne dors pas et c’est interminable. » – Stéphane Bouquet, Vie commune.


depuis plusieurs jours steve ne répond plus quand je l’appelle. j’ai peur qu’il ait disparu dans sa grotte ou qu’il se soit fait enlever par un inconnu. à la télé ils parlent beaucoup de jeunes de notre âge qui disparaissent dans des voitures ou sur les bords des routes, dans des forêts ou dans les villes. peut-être qu’arthur s’est fait enlever lui aussi. sur des vidéos on voit des lieux où avant il y avait des jeunes et maintenant il n’y a plus rien. dans des skate parc ou des cinémas. j’ai vu une fille de laquelle j’étais amoureux me dire qu’un ami à elle avait disparu et que depuis elle le pleurait tous les soirs. elle relit les conversations qu’ils avaient sur leur ordinateur et elle pleure, c’est ce qu’elle m’a dit. elle a cru le voir un soir en rentrant de l’école, à l’intérieur d’une voiture, mais ce n’était pas lui. peut-être que dans deux ou trois jours les parents de steve alerteront la police mais il sera déjà trop tard parce que la police ne peut rien contre les inconnus. elle leur court après mais ils sont dans les hautes herbes et on ne retrouve rien ni personne dans les hautes herbes. il y a quelques temps steve m’a envoyé une vidéo dans laquelle on le voit en train de suivre arthur dans la rue. steve filme arthur avec son téléphone. il sait peut-être où il a disparu. vers la fin de la vidéo, arthur discute avec un inconnu et steve les filme caché derrière un mur. l’inconnu a compris que steve les filmait lui et arthur mais il discute comme si de rien n’était. arthur a l’air stressé parce qu’il se ronge les ongles et qu’il passe d’une jambe à l’autre comme s’il voulait aller aux toilettes. l’inconnu lui tend une cassette et arthur la range aussitôt dans sa poche. steve n’est plus derrière le mur. je ne sais pas ce que steve veut que je voie. peut-être retrouver la cassette. je ne sais pas où arthur l’a cachée. je pense qu’arthur est mort.


steve m’a montré des vidéos sur son ordinateur. c’est des vidéos de chez lui la nuit dans la chambre de ses parents ou dans la cuisine. il m’a dit qu’il avait trouvé des caméras qui étaient déjà dans les murs de sa maison et qu’il les avait branchées sur son ordinateur. les caméras enregistrent tout. il y a d’autres vidéos où on voit steve en train de fixer la caméra dans sa chambre, mais celles-là il ne me les a pas montrées. à un moment dans la chambre de ses parents une grotte s’ouvre dans le placard où ils rangent leurs vêtements. il y a un inconnu qui en sort et qui s’allonge à côté d’eux. steve avait l’air vraiment excité de voir l’homme s’allonger entre ses parents comme si c’était un troisième parent. derrière il y avait la grotte et son entrée noire comme la nuit ou comme une bouche. ensuite je ne sais pas pourquoi la vidéo s’arrête et steve me dit qu’il n’a pas le droit de me montrer la suite. steve aime bien se vanter de ce que je ne vois pas. en cours les professeurs ne lui demandent jamais rien. un jour arthur a vu qu’il dessinait des visages sur ses feuilles. après, arthur n’est plus jamais revenu à l’école et on nous a dit qu’il avait déménagé. moi je pense qu’il a eu peur des visages dessinés par steve et qu’il en faisait des cauchemars. même s’il a déménagé, il doit voir les visages dans son sommeil et je pense qu’il mourra bientôt. dans une autre vidéo, on voit steve prendre du jus d’orange dans le frigo et le boire au goulot d’une traite. après il jette la bouteille en plastique sur le sol et il quitte la pièce. sa mère arrive dix secondes plus tard et ramasse la bouteille pour la jeter à la poubelle. steve m’a montré plusieurs fois cette séquence mais je n’ai pas bien compris ce que je devais y voir. au bout de la septième fois, il m’a dit de regarder l’heure en haut à droite de l’écran, et là j’ai remarqué qu’entre le moment où il jetait la bouteille sur le sol et celui où sa mère la mettait à la poubelle, il se passait cinq mois.

à la télé ils ont dit que la police avait retrouvé le tueur de l’homme devant l’école. ils ont montré sa photo à l’écran mais son visage ne me disait rien. il est toujours en cavale. je pense qu’il s’est caché dans sa grotte à lui ou dans les herbes hautes et qu’on ne le retrouvera jamais. le lendemain steve m’a dit que la télé mentait et il m’a montré le vrai visage du tueur. il m’a dit qu’il connaissait son vrai visage depuis longtemps parce qu’il le hantait dans son sommeil. il m’a montré d’autres vidéos dans la ville où on voit le tueur marcher autour du plan d’eau ou faire le plein de sa voiture ou attendre sur le parking du supermarché. steve m’a dit aussi qu’il avait découvert un passage dans la cave taupiqueur qui relie argenta à carmin-sur-mer, mais qu’il ne peut pas me dire où il mène. selon lui le tueur connaît aussi ce passage et c’est par là qu’il s’enfuit pour échapper à la police. dès qu’il a tué l’homme devant l’école il a pris ce passage et depuis plus personne ne peut le retrouver. steve me dit qu’il le rencontre parfois dans la cave, mais qu’il ne le dénoncera jamais.


steve a plusieurs CD avec des grottes enregistrées qu’il a rangés dans sa chambre. il m’a dit que parfois il croisait des inconnus qu’il ne devrait pas croiser, dans les grottes ou dans les hautes herbes. il m’a dit que c’était comme dans pokémon quand les dresseurs veulent te combattre, sauf qu’ils essaient de te tuer. je crois que steve va beaucoup plus que loin que moi dans son exploration des grottes et de l’univers qui les entoure. c’est parce que ses parents le laissent libre. je pense que steve est seul et que les grottes sont comme un refuge pour lui. un jour il disparaîtra et je saurai qu’il est dans une grotte pour toujours. steve sait ce qu’il cherche. on ne peut pas en même temps appartenir à la grotte et continuer sa vie. il a déjà essayé d’avoir plusieurs grottes en même temps mais d’autres inconnus lui ont dit que c’était interdit alors il a condamné les grottes avec des éboulements. les inconnus étaient vraiment en colère contre steve et il m’a dit qu’il ne pouvait plus dormir. ils lui laissaient des messages sur son ordinateur avec des têtes de mort et des pendus. ensuite les choses se sont calmées mais steve m’a dit qu’il ne dormait toujours pas la nuit. tous les jours en classe je le vois qui essaie de dormir sur sa table. il est pris de convulsions qui montrent qu’il se bat contre des inconnus dans son sommeil. quand il se réveille on dirait que ses yeux ont été creusés hors de son crâne. parfois je l’appelle par son nom et c’est quelqu’un d’autre qui me répond. j’ai peur que steve soit perdu depuis longtemps dans une grotte condamnée par un éboulement. parfois je me dis pauvre steve, où t’es-tu perdu. ensuite il m’invite à jouer chez lui et j’oublie qu’il a disparu.


plus tard je mettrai ma grotte sur ordinateur et il faudra un mot de passe pour y entrer. sans mot de passe c’est comme si les grottes étaient des rues et tout le monde peut y faire n’importe quoi. dans les rues il y a beaucoup de vent et des gens qui vous regardent comme si vous étiez un monstre. il y en a qui piratent les grottes des autres parce qu’ils n’ont pas de maison à eux. mon mot de passe aura quatorze lettres et onze chiffres. mon ami qui a un ordinateur ne vient plus à l’école parce que sa vie dans la grotte lui suffit. ses parents ne lui disent rien. quand je viens chez lui sa mère nous apporte le goûter et ensuite je ne la revois plus. son père est absent. il m’a dit qu’il avait essayé de créer son père dans l’ordinateur mais qu’il avait créé un inconnu qui essayait de l’étrangler. il m’a dit que les pères dans l’ordinateur étaient des monstres, et qu’il ne fallait surtout pas les laisser s’échapper. dans un livre de poésie il a lu que les monstres étaient des illusions avec une aura. parfois dans ma grotte je sens l’aura des monstres qui sont des illusions. mon mot de passe serait m417r3d351llus10n5. en piratant les grottes des autres on risque la mort comme l’homme qui a été tué de deux balles dans la tête. c’est une sorte de châtiment. dans le désert les sables mouvants punissent les imposteurs. c’est pour ça qu’ils sont aussi vides. moi je n’ai rien à cacher. par les ordinateurs on peut écrire des choses qui ne doivent pas être dites. comme dans les grottes on peut faire passer des messages en souterrain. sur les écrans les images sont comme des mots. on peut tuer à travers les ondes propagées par les ordinateurs. c’est comme ça que l’homme est mort tué de deux balles dans la tête. les balles étaient des métaphores des ondes invisibles et elles ont explosé son cerveau. il n’y a pas d’ondes dans les grottes. il y a des ondes dans les rues. les rues ne sont que des ondes qui tuent. mon ami avec un ordinateur s’appelle steve. moi, je n’ai pas de nom.

« On réclame des fictions qui nous guérissent du vertige du non-sens en articulant le réel dans une aimable cohérence (la cohérence temporelle de la narration, par exemple : linéarité banale des romans sans âge ou délicieux dédale « moderniste » mixant les époques avant de les réajuster au coup de sifflet de l’échéance finale). » – Christian Prigent, Une erreur de la nature.


aujourd’hui on est rentré plus tôt de l’école. à la télévision il y a un homme qui est mort de deux balles dans la tête. l’école n’était plus en sécurité. je suis rentré chez moi et sur le chemin je n’ai croisé aucune voiture. j’ai regardé pokémon et je me suis endormi. dans mon rêve je découvrais une grotte et je marchais dedans. sur les parois la roche était friable et j’ai eu peur de mourir enseveli. il y avait un bruit très fort qui m’attirait vers le fond de la grotte mais j’avais peur de découvrir ce que c’était. dans mes rêves les grottes ne sont pas exactement comme dans la réalité. il n’y a pas de grotte à côté de chez moi. parfois quand je suis dans la grotte j’ai l’impression qu’elle peut disparaître. quand je tape les parois j’ai mal au réveil. si la grotte disparaît je peux mourir. dans pokémon, il y a des pokémons qui partent et que personne ne revoit jamais. il y a des pokémons stockés dans des ordinateurs qui parfois restent là pour toujours. mon père ne veut plus que je retourne dans la grotte. ma mère n’a pas d’avis sur la question mais parfois quand elle dort je la regarde et sous ses paupières fermées je reconnais la grotte qui est notre refuge à tous. mon père pense que la grotte est une malédiction qui pèse sur notre famille. moi je ne pense pas, je pense que c’est un don. dans banjo-kazooie, on peut mourir à cause du désert et des sables mouvants. dans la réalité aussi. j’ai un sac à dos que j’emporte toujours avec moi. il y a des choses dedans que personne ne soupçonne. si on va assez profondément dans la grotte on peut deviner ce qu’il y a dans mon sac. ma maison est rouge comme si le soleil s’était écrasé dessus. l’homme qui a été tué je l’ai croisé plusieurs fois dans la grotte avant sa mort. il ne me parlait pas et n’avait pas de visage mais je l’ai reconnu. dans la grotte il y a beaucoup de personnes différentes qui viennent pour des raisons qui ne me regardent pas. parfois je leur donne mon goûter si elles sont affamées et elles me remercient. je n’ai pas envie de leur faire de la peine. je n’ai jamais croisé ma mère dans la grotte parce que je crois qu’elle ne marche pas dans la même grotte, qu’elle a une grotte à elle que je ne pourrai jamais visiter. mon père non plus ne pourra jamais la visiter. dans pokémon, on ne voit rien à l’intérieur des grottes, parce qu’il n’y a pas de lumière, et pas de fenêtres. une maison c’est une grotte avec des fenêtres et des cartons au sous-sol. après la grotte il y aurait un donjon, mais je ne l’ai pas encore découvert. un ami à moi a découvert un jeu dans lequel il peut modifier l’intérieur d’une grotte et il y joue chaque soir sur son ordinateur. il ne m’a jamais laissé y jouer parce qu’il dit que chaque partie est personnelle. si j’avais un ordinateur je pourrais jouer moi aussi. dans les ordinateurs il y a des milliards de grottes personnelles que personne ne verra jamais et qu’on peut modifier. autour de ma grotte il y a des herbes hautes mais je n’ai jamais eu le courage de m’y aventurer. parfois d’autres personnes en sortent et elles ont l’air épuisé et terrifié. la grotte n’est pas une métaphore, c’est une vraie grotte. quand je dis que ma maison est rouge, ce n’est pas une métaphore non plus. si j’étais assez riche et intelligent je construirais ma propre grotte sur ordinateur et il n’y aurait pas d’herbes hautes autour, seulement des déserts. mon ordinateur deviendrait ma réalité et je n’aurais plus jamais de soucis.


J’ai finalement pris la décision de ne pas publier Rivage au rapport ; le texte ne me semble ni bon ni abouti (état actuel). J’ai beaucoup écrit ces derniers mois, Jimmy Arrow, La Ferme des mastodontes, SPEEDBOAT, et sans doute que mes objectifs ont changé entre-temps, lentement, sans que je m’en rende compte. Je me sens moins dans l’urgence également, et la publication semble moins nécessaire. Il y a encore du travail à fournir, des livres à lire. On finit toujours pas dire ce qu’on a à dire ; parfois c’est outre-tombe. Mon emploi me prend du temps, même s’il apporte son lot de réjouissances. Bref, il y a moins de raisons d’écrire.


Une voisine dit avoir aperçu un homme sans visage et sans nom discuter avec la première victime sept heures avant sa mort. La caméra à l’extérieur du centre commercial montre la voisine discuter avec cet homme une semaine plus tôt. Copperfield note complices.

Anomalie n°1 : les vêtements des deux victimes étaient intervertis. Anomalie n°2 : aucune famille n’a signalé la disparition de sa fille le 9 janvier. Anomalie n°3 : là où ont été filmés l’homme sans visage et la voisine, il n’y a pas de caméra.

Plusieurs projections de ketchup retrouvées sur l’abdomen de la première victime. Son père dit : elle ne mangeait jamais de ketchup. Dans le salon, la mère feuillette un magazine de prêt-à-porter et découpe aux ciseaux les têtes des mannequins.

Devant la maison, Rivage s’adosse contre la voiture. Copperfield dit : ils ont quelque chose à cacher. Le père devient suspect numéro un. Le visage de la mère plaqué contre la vitre du salon. Elle dit quelque chose, mais Rivage n’entend rien.

Deux hommes marchent lentement du même pas dans les couloirs du collège. Une berline se gare devant le portail d’entrée, qui fait des appels de phare.

Les champs la nuit ; une lumière blanche tombe sur les cultures. La nationale, trois véhicules par heure. Dans un coffre, un corps.

9 JANVIER 2014

Le corps de la fillette est projeté contre le sol ; son crâne heurte une souche mais elle reste consciente. Il y a des mots qui ne sortent plus. Après, elle est seule et consciente pendant 26 heures. Parfois son corps meurtri apparaît dans la lumière, mais personne ne la voit. Ensuite, plus personne ne peut la voir.

Trois jours plus tard, le médecin légiste dira : mort par déshydratation.

Onze jours plus tard, elle ne sera toujours pas identifiée.

14 JANVIER 2014

Rivage refait seul le trajet.


12 JANVIER 2014

Une nationale déserte en début de soirée. Arrière-plan : champs et pylônes, vague orange dans le ciel.

Dans la voiture qui arrive de face, Rivage et Copperfield. À la radio, Love is the Devil. Copperfield note trois phrases dans son carnet et Rivage regarde par la vitre conducteur.

Tous les deux accroupis auprès du cadavre. Rivage touche la terre encore meuble ; Copperfield note terre encore meuble. Derrière, la voiture stationnée sur un remblais.

Le corps : onze ou douze ans, torturée. Rivage se frotte la bouche et le menton ; Copperfield prend plusieurs photos. Sur la nationale, un conducteur remarque deux hommes dans le champ. Copperfield note mort par suffocation.

Des empreintes de pas brouillées par la boue qui se perdent dans les herbes hautes. De la sueur sur le front de Rivage. Le soleil, à l’horizon.

Après autopsie, découverte d’un tatouage de couronne à l’intérieur de la cuisse gauche. La cicatrice a suppuré. L’enfant vient du quartier de Myriad Pro. Cinq kilomètres à pied entre ici et le collège.

Interrogatoire d’une enseignante : élève sans histoire, notes moyennes, appréciée. Une silhouette les scrute depuis le troisième étage, que Rivage remarque. Il fait signe à Copperfield. À la sortie, une élève leur dit : il ne faut pas croire les adultes.

Interrogatoire des parents : mère prostrée dans le salon. Le récit du père est décousu et contradictoire. Aucun trajet habituel ne justifie qu’on l’ait retrouvée là. Ils se permettent de fouiller sa chambre et trouvent un trou de 3 cm de diamètre dans la cloison mitoyenne à celle de ses parents.

Tapisserie jaune à motifs floraux, mobilier en formica, forte odeur de détergent. La mère à la fenêtre du salon ; les lampadaires éclairent des trottoirs vides.

Dans un album de famille, une photographie de la fille avec une couronne en papier sur la tête. Ensuite, patrouille dans le quartier. À la radio, Night Walk. À la radio, appel à toutes les unités : nouveau corps à 2 kilomètres du premier.

13 JANVIER 2014

Même âge, même sexe, mêmes blessures, tatouage semblable au poignet gauche, plus propre. D’après le médecin légiste, tuée trois jours plus tôt. Autour, le marécage, d’autres champs, la centrale, 10 hommes dont 7 en tenues blanches. Copperfield note trouver la couronne.

Le collège est mis sous surveillance et le personnel interrogé. Le directeur dit qu’il ne connaît pas chacun de ses 600 élèves individuellement, mais que c’est une perte terrible. Copperfield note se ronge les ongles. Il n’a jamais surpris de mouvements suspects devant son établissement.

« Il est risqué de garder tel quel ce qui est mal écrit. Un mot jeté au hasard sur le papier peut détruire l’univers. Fais attention et corrige ton texte tant qu’il t’appartient encore, me dis-je souvent, car tout ce que tu as écrit, une fois que tu l’auras livré, creusera son chemin dans des milliers d’esprits, le bon grain noircira, au risque de ronger, d’embraser, de raser toutes les bibliothèque.

Une seule solution : écris sans t’en soucier – seul ce qui est nouveau survivra. »


Il y a un livre intitulé Rivage au rapport qui pourrait paraître cette année ; je l’estime presque fini. Il ne changera plus beaucoup et tout ce que j’avais à dire est sans doute déjà là, dans les pages qui sont écrites. Je ne sais pas si ce livre doit exister. J’ai le sentiment que Rivage est une étape, qui devait prendre sa forme actuelle pour accéder à quelque chose de plus lointain, et que je distingue encore mal ; un livre pour un autre. Je ne ressens pas la même satisfaction qu’en achevant La Ville fond, avant même de l’avoir achevé, sachant que mon idée était là dans la forme que j’avais prévu pour elle, et que l’ensemble pouvait être vu.

Avant le premier roman, il y a la nécessité de publier ; ensuite, il y a les raisons de publier encore.

Quel projet construire, quoi dire.

Qu’est-ce qu’on fait des livres qui ne touchent pas au but ?

« Nous nous réveillons en sursaut et ce que nous voyons
nous terrasse .

Que la terreur torde le monde ! » – William Carlos Williams, Paterson (trad. Y. di Manno).


Je ne sais pas d’où vient l’idée communément admise qu’un bon livre prend forcément du temps à écrire.

Quand la lumière et la chaleur d’été (derniers jours de mai par exemple) tombaient par les fenêtres de la salle de classe alors que le cours prenait fin, et que les quelques bandes d’herbes à côté des préfabriqués adoptaient enfin d’autres allures, plus lascives sans doute, plus accueillantes, il était difficile malgré tout de rester à proximité de ce qui était notre lieu du travail. On ne pouvait pas s’endormir à côté des chaises et des estrades ; il fallait prendre de la distance. Mais on percevait ce qu’aurait pu devenir le lycée : un jardin sans doute.

« Je finis la soirée en méditant sur Nova Cidade de Kilamba, une ville fantôme bâtie par une compagnie d’État chinoise, dans laquelle pas une seule voix humaine ne résonne. Ville qui me hante. » – A.C. Hello, Naissance de la gueule.


Un journal, c’est aussi tous les moments où on écrit rien, mais où on vit quand même.

Dans Rivage, il y a des histoires naïves qui sont pourtant des histoires vraies. Mes personnages parlent peu et disent des choses banales car on parle toujours peu en disant des choses banales.

Un jour, j’ai dit que les livres qui restaient, je les donnais à Emmaüs, et on m’a dit : oh non. Je n’ai pas compris pourquoi ce oh non (ou plutôt j’ai très bien compris).

« Un des plus grands vices de la bourgeoisie blanche […] est sa réticence à penser, sa méfiance vis-à-vis de l’indépendance d’esprit. » – James Baldwin, Retour dans l’oeil du cyclone (trad. H. Borraz).


Ce soir, c’est la première fois depuis le début de la rédaction de Rivage au rapport (cad environ un an et demi) que je relis mon brouillon en entier. À titre indicatif, les personnages se nomment : Rivage, Copperfield, Sigourney Weaver, Pizza Boy, Vera Figner, Atomic Samuraï, Artorias et Yogg-Saron.

Je me demande comment les autres vont le lire.

Ma rigueur au quotidien est plus que limitée. Souvent, le temps qui pourrait être consacré s’évapore.

« C’est ainsi que les brigands-guérilleros de l’Italie du Sud détruisaient non seulement leurs ennemis et les documents qui rendaient légal leur esclavage, mais aussi les riches superflues. Leur justice sociale, c’était la destruction. » – Eric J. Hobsbawm, Les bandits (trad. J.-P. Rospars et N. Guilhot).


Ce que j’aime avec le cinéma, c’est sa voie indirecte. À l’image, si sur un parking il manque une voiture, on voit qu’il manque une voiture, sans avoir besoin de le signaler. Dans un livre, on doit forcément dire : il manque une voiture, ce qui implique d’office le soupçon.

Le texte force la liste méthodique des composants d’un paysage, alors seulement ensuite on peut s’autoriser à supprimer des éléments.

Un autre roman qui tournerait autour d’un seul meurtre, et pour lequel tous les personnages se soupçonneraient. Mais comme Rivage débute déjà par un meurtre, cet autre roman n’existera sans doute jamais (tant pis).

Il a peu plu, cet automne.

Après le travail, je rentre à pied, je prends le temps.


Qui lit encore les livres ?

« Quand on a pour soi les lois de l’histoire, les intérêts de l’avenir, les nécessités économiques et morales qui conduisent à la révolution ; quand on sait clairement ce qu’on veut, de quelles armes on dispose et quelles sont celles de l’adversaire ; quand on a pris son parti de l’action illégale ; quand on a confiance en soi et quand on ne travaille qu’avec ceux en qui l’on a confiance ; quand on sait que l’oeuvre révolutionnaire exige des sacrifices et que toute semence de dévouement fructifie au centuple, on est invincible. » – Victor Serge, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression.